« Fake world » ou la fin de l’illusionnisme

Amadou Tidiane Wone

Écrivain, éditeur et panafricaniste. Ancien Ministre de la Culture et ancien Ambassadeur du Sénégal au Canada.
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Il est temps de le constater pour en tirer toutes les conséquences : Tous ces signes cliniques de la décadence du modèle occidental, imposé à l’Humanité depuis plusieurs siècles, sont visibles à l’œil nu.  En plus d’autres  pathologies aggravantes, de plus en plus nombreuses, multiformes et corrosives. Continuer à suivre aveuglément ce modèle,  conduira inéluctablement  notre espèce à sa destruction. Il faut, urgemment, le remettre en cause de fond en comble et trouver une nouvelle inspiration pour sauver l’essentiel de l’Homme. En effet, la course vers la « puissance » économique voire la « superpuissance » ( ?!) par le contrôle des ressources naturelles et humaines mondiales est le seul moteur de la conception du progrès de l’Occident. Ce « progrès » il le conçoit, exclusivement comme un culte à sa propre gloire, le triomphe de ses idéaux philosophiques et moraux. Hélas, ceux-ci se révèlent de plus en plus mercantiles et…lubriques, voire pornographiques ! « Mission civilisatrice » disaient-ils! Au mépris du droit des peuples différents à vivre en harmonie avec la conception qu’ils se font du monde, leurs valeurs morales et spirituelles. L’Occident a décidé, unilatéralement,  que son modèle de vie était le meilleur. Pour tous et partout. Canons et baïonnettes, chars et mitraillettes ont réduit au silence des peuplades entières et aujourd’hui, au bout de la traite des esclaves et de la colonisation, les indépendances tronquées ont instauré, partout, un équilibre de la terreur et de la soumission que, de loin en loin, des voix alternatives ont tenté de dénoncer. En vain. Au fil du temps, des révolutions ont tenté, ici et là, d’inverser le cours de l’Histoire, de reprendre l’initiative. Des réussites existent, en Asie notamment. Mais pour ce qui est de l’Afrique d’où je parle et dont je me préoccupe plus particulièrement, force est de constater pour s’en désoler que cela va mal, très mal. Mais surtout  que cela dure et empire!

Pourquoi en sommes-nous encore là après plus de 60 ans « d’indépendances »?  Mais alors comment nous en sortir, définitivement, pour donner à nos enfants un avenir de dignité et de prospérité?

Telles sont les questions essentielles qu’il nous faut résoudre. Impérativement. Agir dans l’unité et la cohésion pour faire émerger une ambition collective suffisamment puissante pour déjouer les traquenards et les pièges que ne manqueront jamais de susciter nos ennemis est notre principal défi. Car, il va bien falloir  s’accorder sur l’existence des ennemis de l’Afrique, les identifier clairement, les démasquer et les combattre. En vérité, la situation catastrophique du Continent africain ne relève ni de la fatalité ni d’une malédiction. Elle relève d’un ordre mondial pensé et conduit comme tel avec une maitrise implacable. Le pire étant que des « élites africaines » égarées sont complices pour ne pas dire agents exécutifs de la tragédie de notre continent. Ils sont souvent en mode camouflage. Mais ils ne sauraient échapper à notre vigilance. « Allons seulement… » Pour parler africain !

Pour tout dire, sortons de notre angélisme béat et nommons les choses !

Au demeurant, qui était à Berlin en 1885 pour décider du partage de l’Afrique  et de la création de plus d’une cinquantaine de micro-Etats minés par des conflits socio-ethniques latents ? Aucun africain ! Changer le cours de l’Histoire commence par là : la prise de conscience des entraves sciemment mises en place pour nous faire tourner en rond avec la bonne vieille recette : diviser pour régner !

L’un des mécanismes les plus puissants de la servilité consentie, c’est l’école. L’école française pour ce qui concerne notamment notre pays le Sénégal et, plus généralement tous les pays francophones d’Afrique. Au vu de l’état d’avachissement de certaines élites dirigeantes africaines francisées, il est temps de poser un vrai diagnostic sur l’apathie et la condescendance dont elles font montre vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. Nos dirigeants contemporains, à tous les niveaux,  ressemblent de plus en plus à des greffes irréelles et, bien des fois comiques, sur la misère de nos peuples. Fascinés voire subjugués par les dorures du pouvoir et les avantages matériels de richesses mal acquises, « ils piaffent et plastronnent dans les salons de la condescendance… » Merci David Diop ! Acculturés, complexés, les rudiments scolaires qui encombrent leurs cerveaux les empêchent de rêver, de voir grand. Ils se révèlent incapables de générer une VISION collective, décomplexée et conquérante. Les jeunesses africaines les qualifient désormais de «  préfets de la France »… Et ils font mine de ne pas les entendre …

Mais revenons à la radiographie de la misère mentale et intellectuelle des élites africaines contemporaines. Elles se jaugent au miroir de l’occident et définissent leur « réussite » en fonction des normes établies par l’échelle des valeurs occidentales. Or, selon la belle formule de Cheikh Hamidou KANE, nous attendions qu’ils fréquentent l’école des blancs afin d’y apprendre «  l’art de vaincre sans avoir raison… » Ainsi nous aurions dû avoir à cœur, à l’aube des indépendances, à décoloniser notre système éducatif sachant bien que le pouvoir colonial n’avait comme projet que de nous inoculer le virus de la soumission et de l’indolence. Après plusieurs générations de diplômés en tous genres, nous payons le prix de notre négligence : nos administrations sont des clones dévalués de la bureaucratie française. Elles ne sont pas aptes à développer nos pays. Tout au plus à administrer la misère de nos peuples. Il va falloir exploser tout le système pour renouer avec nos mémoires enfouies, là où gisent nos ambitions fondamentales. Il nous faut repeindre le monde aux couleurs de nos véritables identités. Tant il reste vrai, comme le disait Frantz FANON, que «  Pour le colonisé, la vie ne peut surgir que du cadavre en décomposition du colon »…

Récuser la déviation pornographique de la « civilisation » occidentale.

Les guillemets s’imposent tant ce qui se proclame de monde « civilisé » renvoie à tous les signes de la décadence, de la luxure et de la barbarie. Du siècle dit des Lumières à nos jours, la profondeur de la Pensée qui a caractérisé les intellectuels et les penseurs de la vieille Europe a cédé le pas à la superficialité. Les médias dictent les contenus et fabriquent des gloires saisonnières qui prostituent la pensée. Des philosophes mondains hantent les plateaux de télévision pour débiter des paroles vides de sens.  De toutes les façons ce sont des penseurs à usage unique dont les noms ne traversent pas le temps. La « civilisation » dire moderne vire à un culte du plaisir des sens, au triomphe du loisir pour le loisir. Cette dérive, soutenue par des avancées technologiques certaines, a pour conséquence la fabrication effrénée d’objets, la production de biens non essentiels, la fourniture de services sans utilité. Il s’est ainsi développé une industrie de la distraction et de l’amusement qui produit, à foison, toutes sortes de joujoux par définition temporaires et évanescents. Toutes choses, à l’expérience inutiles, onéreuses et désormais dangereuses. Une industrie de la mode, saisonnière par vocation, conditionne nos volontés et se saisit de nos avoirs. Sans limites. Dans un esprit de compétition et de concurrence qui est la marque de fabrique du système capitaliste, le bonheur de l’humain n’est plus le sujet. Bien au contraire. Il faut assiéger les esprits, les distraire, les empêcher de réfléchir, de penser. Robotiser les humains … Il suffit de voir l’envahissement du numérique dans nos vies, la solitude qui s’en suit. Les effets collatéraux sur la santé psychologique et les troubles du comportement, la manipulation des esprits que ces nouveaux outils permettent à des niveaux insoupçonnés.

Pour l’heure, intéressons-nous à la tendance de plus en plus appuyée des médias occidentaux, vecteurs de la domination culturelle d’une partie du monde sur toutes les autres, d’imposer la conception occidentale des « droits humains » et d’en faire le modèle universel de référence. Ces médias, super puissants et dévastateurs, causent plus de dégâts que la plupart des guerres conventionnelles car ils distillent, dans les consciences, un poison qui agit lentement pour détruire les bases spirituelles, culturelles et morales des peuples dominés. Rien que pour y substituer une sous culture dont les référentiels sont essentiellement tournés vers la satisfaction des besoins animaux de l’être humain. La spiritualité est mise en berne. Et il semble que nous soyons parvenus à un niveau tel de contamination, que la rupture d’avec le modèle occidental est une nécessité impérative de survie. Car, par des manipulations successives des principes du droit international, des lobbies puissants font désormais, à visage découvert,  la promotion de mœurs et de valeurs déviantes, contraires à la nature humaine. Sous le rouleau compresseur d’organisations non gouvernementales, téléguidées par des « Think Tank » aux objectifs dangereux, financées par des fondations douteuses, nos pays adoptent des législations en porte à faux avec nos valeurs spirituelles, culturelles et morales. Des lois et dispositions légales écrites en français, une langue étrangère à la majorité des sénégalais, sont en cours d’adoption.  Ou peut-être le sont-elles déjà, à l’insu  des citoyens, pour ne pas dire en catimini. Notamment pour tout ce qui concerne les « nouveaux droits » sic. Par ailleurs, des politiques agressives de limitation des naissances, sous le couvert de la préservation de la santé de la mère et de l’enfant entrent, en fait, dans le cadre de la « guerre démographique » que certains illuminés de l’occident ont entreprise pour contenir l’expansion de certaines populations, notamment noires… Ils devraient plutôt s’en prendre à Malthus… (Non mais quel ignarece Malthus !)

Le sujet est vaste et nous interpelle dangereusement. Les intellectuels africains ont la responsabilité de dénoncer l’adoption de lois contraires à nos valeurs, sous la pression dite « internationale »qui n’est en fait que le fruit de l’activisme de lobbies qui savent faire fonctionner le «  système » ! Laisser certaines questions sociétales entre les mains d’activistes en tous genres, de politiciens en rupture de ban, ou de prêcheurs en eaux troubles serait, pour le moins périlleux. La résistance des temps actuels devra se faire au plan intellectuel. Combattre les paradigmes fondateurs de l’ordre mondial actuel, porteur de tant de désordres !

Le covid 19 ce grain de sable inespéré !

Paradoxalement, et contre toutes les attentes morbides des médias aux aguets, la pandémie du Covid 19 révèle au grand jour les énormes potentiels dont l’Afrique dispose. Et d’abord la jeunesse insolente de ses populations ! Il s’y ajoute une capacité surprenante d’initiatives et d’innovations à tous les niveaux, juste avec les moyens du bord. On note également une réactivité populaire qui dépasse,  largement, la capacité d’inspiration des dirigeants africains « old fashion » qui ne savent qu’exécuter les programmes de « développement » conçus et définis ailleurs… Et encore ! La jeunesse africaine quant à elle trépigne, invente, inonde les réseaux sociaux de perspectives et dessine les contours de lendemains meilleurs. Au lieu de stimuler ces élans et de les organiser en courants socio-économiques structurants, les gouvernants africains auront souvent tendance à brider ces énergies pour rester dans le convenu, le déjà vu. Conséquence, les plus créatifs du continent finiront par se déporter à l’international pour faire tourner la machine de la mondialisation. Cette machination qui a mis l’Afrique en jachère depuis si longtemps. Avec la force de diffusion des réseaux sociaux, nous avons pu voir que,  du Nord au sud et d’est en Ouest, l’Afrique a cherché et trouvé des solutions à  portée de main. A l’instar du Maroc ou du Nigeria qui ont stimulé la créativité de leurs chercheurs et produit des solutions endogènes pour répondre à la pandémie.  Mais, et comme d’habitude, sur fond d’un mépris culturel et d’un paternalisme de plus en plus taillés en pièces par la dure réalité,  les pays « puissants » et notamment notre « amie la France » vont chercher des explications alambiquées au fait que nous ne soyons pas encore morts par centaines de milliers… Cela ira du climat non favorable au Covid19 (Dieu merci !) à la phrase malicieuse et malveillante : « patience… ça arrive.. » Sinon un silence gêné, qui en dit long sur la déception de votre interlocuteur, viendra compléter le tableau. Aujourd’hui tout lemonde scrute l’horizon de la troisième vague qui décimera (enfin ?) L’Afrique. « Nous pas bouger ! » dirait Salif Keïta.

Mais qui nous veut tout ce mal ? Et pourquoi ?

En attendant, nous avons suivi en direct les tâtonnements de la « science occidentale » les vanités de ses technologies de pointe, l’inutilité de certains équipements de « dernière génération( !) ». Au même moment, nos médecins ont fait des miracles avec des bouts de chandelles. Nos personnels soignants, la rage au cœur et la Foi en bandoulière ont soigné et guéri la majorité des malades. Et c’est tout ce que l’on demande à la médecine : soigner et guérir des malades. La surenchère technologique fait l’affaire des investisseurs. Au point où tous les médicaments que l’on nous prescrit sont devenus l’enjeu de guerres économiques et non thérapeutiques…

Bref, il est temps de se décider à changer de monde ! A défaut de changer le monde. Le système capitaliste est à bout de souffle. Le bonheur de l’homme n’est plus au cœur de son sujet. Seule la survie de son système, et la pérennité de l’ordre mondial qui le garantit, le préoccupe. A tout prix !

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