Le bout du rouleau !

Amadou Tidiane Wone

Écrivain, éditeur et panafricaniste. Ancien Ministre de la Culture et ancien Ambassadeur du Sénégal au Canada.

Notre pays le Sénégal,  enfant chéri de la colonisation française, est dirigé par une élite intellectuelle malade des travers de l’école de Jean Dard, dont le projet n’était pas, assurément, d’émancipation culturelle par l’acquisition de Savoirs, d’expériences et, finalement d’autonomisation. Que non !

Le projet colonial, et toutes les institutions mises en place pour le réaliser, le consolider et le perpétuer, répondent à l’impératif de domestication de «sujets» ainsi que s’appelaient les «moins que citoyens» de l’Empire colonial. Ce malentendu fondateur de l’école coloniale aurait dû être levé, définitivement et structurellement, de notre système éducatif. Toutes les scories d’une culture de la Soumission à l’ordre colonial auraient dû être expurgées de notre environnement mental et cognitif. Car en vérité,  l’Indépendance, ou plutôt la décolonisation, ne se réduit pas à un drapeau, un hymne national, et la prise en main d’une administration.  C’est beaucoup plus subtil et infiniment plus complexe !   Un travail de fond de réhabilitation de notre histoire ante-coloniale, une lecture juste de la Résistance de nos parents et grands-parents à la pénétration étrangère, auraient permis   une mise en perspective de notre sens du progrès,  fondé sur nos véritables identités  culturelles et sociales. Ce sont, là, les préalables incontournables à  la Refondation d’une République nouvelle, non dépendante du projet colonial,  donc INDÉPENDANTE !

Où en sommes-nous ?

Nous en sommes encore au niveau où le «dress code» de la photo officielle du gouvernement est au costume sombre, cravate et souliers assortis ! Plus sérieusement, notre Constitution, malgré plusieurs liftings électoralistes reste un clone de la Constitution française dans l’esprit et, sous bien des rapports,  dans la lettre.

La langue française y’est déclarée «langue officielle».  Mais aucune de nos langues nationales n’est portée à cette dignité dans la Loi fondamentale de notre pays. Rien de tel pour nourrir durablement un complexe d’infériorité, un sentiment perpétuel de dévalorisation de soi. Tous nos modèles de développement sont inspirés par la vision du monde dessinée par le colon ! Je sais. Ce raccourci va irriter certains. Mais nos valeurs spirituelles, culturelles, traditionnelles et leurs prolongements dans nos aptitudes et attitudes de tous les jours sont constitutifs de ce que l’on appelle une civilisation ! A moins de considérer que nous, peuples noirs et africains, serions définitivement inutiles au monde, il faudrait peut-être songer à lui apporter un supplément d’âme. Convenons-en,  les peuples sont différents. Mieux, chaque individu est une pièce unique. C’est cela la beauté de l’Humanité et le sceau de toutes les espèces : la diversité !

 La standardisation des produits de consommation et la transformation des humains, en consommateurs compulsifs de biens et de services, sont le fait du capitalisme et de sa dérive mondialiste. Une humanité robotisée, conséquence du capitalisme triomphant, est un échec de l’Homme. Une mise en berne de son génie.

L’épicentre des valeurs du monde capitaliste est au cœur de la vieille Europe dont les tentacules colonialistes ont dessiné l’ordre du monde contemporain.  A quel prix ? La conquête de l’Amérique, aujourd’hui première puissance économique et … militaire du monde, s’est faite au prix de l’extermination des premières nations indiennes de ce Continent.  Aujourd’hui les descendants des peaux rouges, ou ce qui en reste, sont parqués dans des réserves.  Alcoolisés et drogués,  ils errent dans les rues des terres ancestrales, hagards et déboussolés… Et on nous parle de droits humains ! Or, quelle perte en Savoirs authentiques et d’une vision non comptable du monde… L’humanité est ainsi amputée d’une belle partie d’elle-même!

Allez en Australie, en Amérique du Sud,  en Afrique du sud… Partout où l’ordre capitaliste du monde s’est exporté, la violence et la terreur ont été les seuls langages en vigueur.  Aujourd’hui, c’est pourtant ce désordre organisé du monde qui accuse de «terrorisme» toute tentative de remise en question du rapport de forces imposé à toute la planète.

Et ce sont les livres d’histoires, mais aussi les journaux télévisés des medias mainstream, qui consolident  les narratifs de la sujétion, véhiculés pernicieusement par le système éducatif. Un dispositif qui anesthésie les réflexions et inhibe les capacités contradictoires des élites. Pour ceux qui nous intéressent ici, les intellectuels africains, les élites dirigeants  du Sénégal notamment, le temps est largement venu de retrouver leur rôle de vigie pour contribuer au réveil de leurs peuples. S’il est impossible de réécrire l’Histoire,  il est possible de la relire dans le bon sens !

Le monologue, «sûr de lui et dominateur» de l’Europe et de ses excroissances a appauvri le cœur du monde. Dire cela n’est pas une profession de foi raciste ! C’est le constat désolé que la misère est dite noire lorsqu’elle dépasse les limites du supportable !

Les peuples africains sont au bout du rouleau. Les ex-puissances coloniales, la France pour ce qui nous concerne, doivent en prendre conscience. La jeunesse africaine, et plus particulièrement sénégalaise, préfère affronter la fureur des océans ou les rigueurs du désert que de rester inactive face à un horizon bouché. En attendant,  la colère, forme active et éruptive du désespoir monte…monte. Nul ne pourra contenir son explosion !

Pour conjurer la montée des périls, Il faut absolument changer de monde. A défaut de changer le monde. Ici et maintenant !

A bon entendeur !

Amadou Tidiane WONE

info@amadoutidianewone.com

Commentaires

5 Commentaires

  1. Birane Mamadou Salane

    « Pour conjurer la montée des périls, Il faut absolument changer de monde. A défaut de changer le monde. Ici et maintenant. »
    Le monde est entrain de changer. Il ne peut en etre autrement. La question de fond c’est quelle place voulons-nous avoir dans l’evolution du monde et sur quels leviers s’appuyer pour assumer comme il se doit cette place ? Je reste convaincu que la technologie est le raccourci ideal pour conjurer les « perils » que vous évoquez. Là encore se pose la question centrale de sa bonne utilisation (Theorie des usages en SIC, Determinisme technique/Determinisme social). Si l’Afrique definit, profite et exploite pleinement le potentiel de la technologie, nous pourrons trouver là, une panacée à beaucoup de nos maux et un frein a beaucoup de nos perils. Encore faudrait-il definir le bon positionnement pour arreter de consommer aveuglément des outils et contenus technologiques produits ailleurs et souvent utilisés pour servir des interets cachés. Ce qui justifie tout le debat autour de la souveraineté numerique et la protection de nos données. Il nous faut donc commencer à produire du contenu et des outils technologiques propres a l’Afrique et aux Africains. Pour le moment nous en sommes encore à des stratégies. Le Senegal vient de boucler sa stratégie des données et sa stratégie Intelligence artificielle.

    Réponse
    • Nancy NDOUR

      MachaAllah M. Wone. Je vois là mon cours de Éducation au Sénégal. Et c’est la triste réalité.

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  2. Baaba Ly

    Masha Allah

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  3. Lamine

    Excellent. Analyse profinde et juste. Felicitations

    Réponse
  4. Adja Fatou Niang

    La rupture avec le système qui nous a été imposé par nos dirigeants préfets et sous préfets de la France est inévitable. La jeunesse africaine est en éveil et aspire à un changement radical de ce que nous leurs parents ont vécu sans broncher.

    Réponse

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