Ah ! Si jeunesse savait…

Amadou Tidiane Wone

Écrivain, éditeur et panafricaniste. Ancien Ministre de la Culture et ancien Ambassadeur du Sénégal au Canada.

Hommage à Amadou Abdoul DIA et Nafy NDOYE

Poursuivant le fil de ma réflexion sur les racines du mal de notre non-développement à travers mes deux derniers billets « La Souveraineté mentale mère des Souverainetés » et La Dé-bérlinisation premier jalon du panafricanisme », je m’interrogeais davantage sur le malentendu persistant entre l’ancienne puissance coloniale française et nous.
C’est alors que j’ai reçu une vidéo où s’expriment des personnalités attachantes et inspirantes, sous plusieurs égards, dont Amadou Abdoul DIA dont je peux dire, tout simplement qu’il est un père. Sous tous les rapports possibles ! Par le sang, par la tendre affection dont il a toujours fait montre à mon endroit et, aussi, pour l’admiration que j’ai toujours eu pour son élégance, sa fine et subtile éloquence et son sens de l’humour si exquis.
Écoutez le parler de ses souvenirs de l’école coloniale française dans ses excès et son projet de domestication de ses sujets. Écoutez cet extrait d’une émission diffusée sur la RTS dans les années 80…


Je transcris, mot à mot ces textes que nos pères étaient obligés d’apprendre, par cœur, à l’école des blancs, dans les pires années du projet d’aliénation culturel et d’asservissement mental de la colonisation française. Une école dont le propos était et reste une fabrique de sujets, dociles et amorphes jugez-en :
« France ta main puissante a brisé nos liens ! Des tyrans nous vendaient comme des bêtes de somme ! Ils tuaient nos enfants et ravageaient nos biens ! Mais tu nous délivras et fit de nous des hommes ! »
Je suis admiratif de la mémoire extraordinaire de cet homme qui, plus de 30 années plus tard récite, sans hésitation des leçons apprises et si bien sues, il y’a si longtemps dans les années 40 je crois … A l’ère des téléphones mobiles qui capturent tout, à notre place, et de l’intelligence si bien nommée « artificielle », cette performance laisse songeur et nous interpelle en tant qu’héritiers d’une civilisation de tradition orale. Que nous reste-t-il de son génie ?
Et il poursuit :
« Salut à toi, France éternelle, par notre âme et par notre corps tu demeureras jeune et belle ! O France à qui vont nos efforts ! Tu demeureras jeune et belle O France à qui vont nos efforts ! »

Le lavage de cerveau dont faisaient l’objet les premières générations d’écoliers africains, aux prises avec l’école coloniale française, était d’une violence inouïe ! Une entreprise de destruction des identités telle, que plusieurs générations de jeunes africains en auront conservé les stigmates. Le venin du doute de soi et de la peur de la liberté mentale coule encore dans les veines de plusieurs africains. La sanctification de la puissance coloniale, était à la limite caricaturale :
« Chère carte de France, image vénérée,
dont j’aime à contempler les gracieux contours,
terre vraiment bénie et de Dieu préférée,
à toi ce souvenir de respect et d’amour.
Quel plaisir de contempler le long de tes rivages,
tes golfes et tes caps si connus des matelots !
Ici c’est la Normandie et ses riants ombrages,
là c’est la Bretagne en guerre avec les flots. »

Merci à notre père Amadou Abdoul Dia de nous avoir conservé, dans sa fabuleuse mémoire, ces pièces à conviction à porter au tribunal de l’histoire coloniale française. Un procès plusieurs fois reporté par les manœuvres, subtiles et organisées, de forces occultes qui font de l’Afrique un butin sans partage. Mais, aujourd’hui que ce que la France a produit de pire en termes d’idées rétrogrades sur l’Afrique et les africains est si près d’accéder au Pouvoir, la rupture est devenue indispensable : je parle de la rupture mentale et culturelle, celle qui alimente et donne un sens à toutes les aspirations à la liberté et au progrès économique et social.
Car voilà ce que nous enseignaient les instituteurs blancs de la France coloniale, voilà ce qu’ils nous forçaient à apprendre dans les cours de « morale » pour « mériter une bonne note :
« Le nègre est orgueilleux, paresseux et menteur… »

Cette conviction, humiliante pour nous, est largement partagée par tous les racistes du monde. Les français qui résident et travaillent au Sénégal, en votant RN, piétinent un peu notre Teranga… Et Le pire c’est qu’il y a désormais, parmi les nègres, des individus saisis par le doute ! Formatés par l’école française, déviés du génie de leur race, et sevrés de la mystique du Continent africain, ils sont devenus étranges … Etrangers à eux-mêmes ! Frantz Fanon a, très tôt, percé le secret de leurs comportements schizophrènes et déviants… Ce sont pourtant ceux qu’adore et chouchoute la France bien-pensante…
Cette France qui, sur notre terre, nous traitait en sujets après avoir organisé une traite des esclaves noirs à un niveau industriel…. Le témoignage de la grande dame Tante Nafy Ndoye dans cette vidéo montre que l’apartheid, ou cohabitation séparée des races, était un principe de vie commun : des files séparées pour accéder à une salle de cinéma, les noirs d’un côté, les blancs de l’autre, chez nous, en terre africaine. Ce qui s’est passé en Afrique du Sud relève donc du droit commun dans la conscience blanche !
Le combat pour l’indépendance politique a pourtant été, en partie, remporté par cette génération, d’hommes et de femmes, dans des conditions autrement plus difficiles que celles que nous vivons aujourd’hui. Il serait temps d’ouvrir nos archives audiovisuelles et que nos cinéastes, artistes et hommes de culture, leurs rendent l’hommage et la reconnaissance qu’ils méritent !

En ce dimanche 07 juillet 2024, où la majorité des électeurs français a failli basculer vers l’extrême des extrêmes de l’indigence morale, l’Afrique doit définitivement ouvrir les yeux sur la réalité du monde. Un système configuré pour maintenir le Continent africain, et surtout la race noire, au plus bas de l’échelle du progrès de l’Humanité. Divisés, nous resterons faibles et impuissants. Unis, nous serons forts et deviendrons puissants. Les termes de l’équation panafricaine sont, à ce point, simples.

C’est le moment de dire aux activistes « panafricanistes » du web que le temps n’est pas à l’expression solitaire d’identités personnelles à coups de vues sur les plateformes digitales. Ces lieux éprouvés de manipulations de masses. Le temps est à la construction d’un idéal continental transfrontalier : lancer des jugements de valeur à partir des frontières dessinées par la colonisation est la meilleure des consolidations de la servitude mentale que nous devons déconstruire ! Lancer des flèches acides à partir de l’espace Schengen ou des USA, de Moscou ou de…Genève, ne suivez pas mon regard, donne des vues sur les réseaux sociaux mais ne répond pas aux enjeux cruciaux de l’heure !

Si parler veut encore dire quelque chose !

Amadou Tidiane WONE
info@amadoutidianewone.com

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