Rupture 

Amadou Tidiane Wone

Écrivain, éditeur et panafricaniste. Ancien Ministre de la Culture et ancien Ambassadeur du Sénégal au Canada.

Rupture ! Ce mot magique est sur toutes les lèvres. Comme un appel pressant, une soif incompressible de défricher une voie d’avenir conforme aux énergies qui dorment sous le boisseau, de plus de 60 ans d’indépendance, dans la soumission mentale des élites… Un mot qui agit comme une incantation oratoire pour conjurer le mauvais sort et bannir, à jamais, un ordre ancien désuet et anachronique

Rupture ! Ou comment transformer le Sénégal par le génie créateur de citoyens sénégalais décomplexés, en capacité d’inventer, et de mettre en œuvre, un modèle de progrès et de mieux-être, qui nous rassemble et nous ressemble. Loin des imitations caricaturales des modèles et des prêt-à-penser qui nous obstruent l’horizon. Telle est la trame de fond de l’exigence qui a enfanté le 24 mars 2024, date charnière de la première rupture actée par le Peuple souverain d’avec le statu quo ante ! Ne pas comprendre cela, ou refuser d’admettre que le peuple sénégalais est mature et résolu à prendre son destin en mains, c’est oublier d’où l’on vient : le départ de Macky Sall du pouvoir, en dépit de toutes les manœuvres, apparentes et souterraines, a fait la preuve de la détermination de la jeunesse sénégalaise, force d’avenir ! La fin de non-recevoir opposée à l’organisation de sa succession à sa convenance ; la mise à la retraite anticipée de toute une caste de politicards professionnels qui ont retardé l’essor de notre pays depuis si longtemps ; sont le signe que tout va changer et que rien ne devrait plus être comme avant !

La jeunesse sénégalaise a donné un signal fort, de détermination et d’adhésion au courant alternatif incarné par Pastef, porté par Ousmane Sonko et ses compagnons, consacré par l’accession à la magistrature suprême de Bassirou Diomaye Faye, 5ème Président de la République du Sénégal ! Cela est la réalité dont il nous faut tenir compte dans nos analyses mais surtout dans nos postures pour le quinquennat en cours.

Que veut le Peuple ? Des emplois ! Mais à quel prix ?

Au prix d’une rupture systématique d’avec les enrichissements, illicites ou sans cause, dont les rapports des corps de contrôle rendent compte à nausée… En attendant que la justice se saisisse pour situer les responsabilités dans les dérives, inadmissibles, notées quant à la gestion du bien commun.  Aucun passe-droit, aucune indulgence ne serait tolérable face à la désinvolture de certains responsables, clairement identifiés, en attendant que leur culpabilité soit établie. Le peuple souverain n’admettra, sous aucun prétexte, la mansuétude face à des crimes économiques qui pourraient hypothéquer l’avenir de toute une nation.  Et, sous ce rapport, il faut éviter la tendance au « Masla », compromis et/ou compromission, pour ménager la chèvre et le chou. Après la jouissance et les réjouissances il convient, pour les bénéficiaires de payer la note. Juste la note. Sans excès à rebours. Ni traque à géométrie variable comme nous en avons connu dans un passé récent. Mener une lutte, sans merci, contre la corruption qui est la sève nourricière de toutes les formes de brigandages économiques et sociales est une exigence majeure sortie des urnes le 24 mars 2024 : Ne l’oublions jamais !

Cela dit, et dans le même temps, il faut surtout construire l’avenir ! Donner corps aux rêves de notre peuple : le nourrir par le travail de ses paysans, l’habiller par le savoir-faire de ses tisserands, et couturiers, construire des demeures écoresponsables par la création de chaînes de valeurs innovantes dans les matériaux et techniques de construction locaux. En un mot : développer notre pays ! Tout cela est à notre portée. Aucun pays au monde ne se développe, de manière durable, sans la valorisation de son génie propre par la transformation qualitative de ses ressources humaines et naturelles. A cet égard, les créateurs africains et plus particulièrement sénégalais ont beaucoup de mérite. Il reste à apporter les leviers économiques à l’essor de filières entrepreneuriales endogènes qui soient le socle d’un tissu économique véritable. Compter sur nos propres forces, c’est le sens profond du mot indépendance…

 Only the sky is the limit !

Pour dire que, moins de deux mois après le changement à la tête du pays, il appartient aux 54% des électeurs sénégalais, qui ont voté pour le changement, de convaincre les 46%… hésitants, que le temps de se retrousser les manches, à tous les niveaux, est venu. Rien ne nous tombera du ciel. Il nous faudra beaucoup de rigueur, et d’efforts soutenus, pour changer de cap et décoller. « Il n’y a pas de destins forclos, il n’y a que des responsabilités désertées… », aimait nous rappeler le poète Hamidou Dia.

Il est temps aussi, de mettre en garde certains politiciens professionnels qui se répandent, déjà, dans les médias pour y répandre la mauvaise parole : ils feraient mieux de prendre un peu de recul, pour prendre la pleine mesure du désaveu infligé le 24 mars 2024. Se donner le temps et les moyens de comprendre et… de changer ! Car tout ce qui est arrivé était prévisible.  Tant l’arrogance était devenue insupportable ! Tant l’insouciance et la vanité semblaient le gage d’une impunité définitive…

Aujourd’hui, nous devons transformer l’enthousiasme de la jeunesse de notre pays en force motrice dans tous les secteurs de la vie nationale. Le Président de la République et son Premier Ministre nous donnent, tous les jours, des raisons d’espérer et de croire que tout est désormais possible. En dépit de certains grincements de dents, par-ci par-là, la dynamique en cours est jugée bonne par la plupart des observateurs de bonne foi. La répartition des rôles au sommet est claire et lisible. Le gouvernement est à pied d’œuvre et la réactivité des ministres, qui n’hésitent pas à descendre sur le terrain, est à saluer. Leur exemple devrait être suivi, à tous les niveaux, pour rapprocher l’administration des administrés. Au jour le jour, les équipes se constituent. A un rythme satisfaisant.  Mais, et il faut le dire clairement : les bastions tenus par les soutiens affirmés de l’ancien régime doivent faire peau neuve, et faire l’objet de nouvelles affectations. Les femmes et les hommes qui ont cru au changement, et combattu pour qu’il advienne, doivent être responsabilisés et mis à l’épreuve.  Ce ne serait que Justice ! Dans toutes les démocraties du monde, une alternance politique conduit à des changements profonds, tant dans l’administration centrale qu’à la tête de toutes les entreprises stratégiques. Notamment, lorsque les choix politiques des responsables qui les dirigent ne correspondent pas à ceux des nouvelles autorités. Aucune esthétique moralisante ne doit conduire à retarder la prise en charge de cet impératif !

Il demeure que les cadres administratifs ont vocation à servir l’État. Sous tous les régimes. Surtout lorsque leurs compétences sont avérées. Aucune discrimination ne doit les isoler ou les stigmatiser à priori. Bien au contraire ! Mais le Sénégal est un petit pays, la haute administration publique et privée est un microcosme où l’on sait qui est qui. Le sens du discernement de nos autorités fera le reste. Au demeurant, et dans Le meilleur des mondes, certains responsables devraient avoir à cœur de rendre le tablier sans nul besoin de se le faire arracher ! Question de point de vue !

En attendant, trouvons les voies et les moyens d’une défense en ligne de cette alternance, porteuse d’alternatives dans tous les domaines, et que personne ne nous en fasse douter ! Cinq ans. C’est le temps que nous avons pour transformer l’essai et faire la preuve que, sur le Continent africain, une… révolution… démocratique peut s’opérer par les urnes ! Pour les générations montantes, ce serait le viatique le plus puissant et le plus refondateur pour l’Avenir. Cinq ans, c’est peu. Mais nous pouvons et devons, pendant ce temps, rendre irréversible la volonté du Peuple de toujours exiger mieux et plus de ses mandants.

Retourner en arrière, sombrer dans l’apathie des douze dernières années, malgré une frénésie infrastructurelle, ne doit plus être possible. A chacun d’entre nous de donner corps à cette résolution !

Amadou Tidiane WONE

info@amadoutidianewone.com

Commentaires

4 Commentaires

  1. Yaya Sakho

    Salam Excellence Ceerno. Le mot RUPTURE n’est pas que magique. Dans le jargon sportif, il suscite l’inquiétude, l’angoisse et l’incertitude d’une carrière aux lendemains troubles.
    Mais, comme d’habitude, un réel plaisir et une profonde curiosité à te lire. Étant certain d’en apprendre davantage. Aussi, de redécouvrir ce que l’on savait déjà mais qu’on a tellement tendance à ignorer, oublier, délaisser ou négliger.
    Une plume vraiment admirable par la candeur, la pureté, la clarté et la profondeur que procure la sagesse, l’expérience et l’empathie tout en gardant la vigueur, la révolte et le sarcastique de la jeunesse des années… 68 !
    Sauf votre respect mon très cher Monsieur Excellence Ceerno ✍️🤝🙏👍☝️👌☪️

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  2. Mahamadou Lamine Sagna

    Dans les lueurs éclatantes des mots, dans la force vive de chaque phrase, réside ce récit qui embrase l’âme patriote. Authentique et vibrant, ce texte se dresse tel un étendard de vérité. Rarement ai-je été aussi transporté, aussi comblé par la lecture d’un écrit aussi poignant. Chaque ligne, tissée de passion et de fierté, résonne comme un hymne à la grandeur de notre patrie.

    Réponse
    • Bakar

      C’est toujours un plaisir de vous lire excellence monsieur l ambassadeur. Ce beau texte illustre encore une que vous restez toujours debout pour servir votre paye mais soutenir et encadrer le duo (diomaye sonko) la troisième alternance doit une rupture dans tous les secteurs de développement afin que nul n en ignore,le Sénégal regorge de cadres compétents aptes à faire décolletage ce

      pays .pour cela il faut de l audace et de la persévérance pour y arriver. Les crimes économiques, financiers et moraux doivent être sanctionnés et leur auteurs punis.le Sénégal doit décoller sous l ère sonko et diomaye et rien ne doit l arrêter.

      Réponse
  3. Biram Fall

    Mon cher Baba,

    Ton article porte un regard éclairant et rafraîchissant sur la réalité dynamique et les changements profonds qu’a connus le Sénégal depuis l’élection du 24 mars 2024.

    L’accent mis sur la vigueur et la détermination de la jeunesse sénégalaise à redéfinir les contours d’une gouvernance responsable et transparente est non seulement inspirant mais essentiel pour comprendre les enjeux actuels.

    La convocation de l’image des « ruptures » avec les pratiques antérieures est particulièrement bienvenue et démontre une volonté nette de se dresser contre les anciennes habitudes et d’inaugurer une ère nouvelle d’équité et de prospérité partagée.

    Ton plaidoyer pour une revalorisation des ressources locales et la mise en place de cadres éthiques stricts dans la gestion des affaires publiques sont des points que l’on ne peux que soutenir avec ferveur.

    Cela dit, l’approche ambitieuse de transformer le système depuis les racines par *l’empowerment* des citoyens ordinaires et des entrepreneurs locaux est un appel à une révolution douce mais déterminée qui pourrait non seulement modeler le futur du Sénégal mais servir d’exemple à d’autres nations, surtout dans notre sous région.

    Je salue donc ton analyse et partage ton espoir d’un avenir plus lumineux pour le Sénégal, façonné par ses propres citoyens.

    Les défis sont certes nombreux, mais les perspectives et la feuille de route que tu proposes inspirent confiance et action.

    Bravo pour, comme à ton habitude, cet article perspicace et mobilisateur !

    Poursuivons cette conversation importante et renforçons ces initiatives pour le bien de tous les Sénégalais.

    Jubal rek in sha’a Allah.

    B

    Réponse

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