La « dé-berlinisation », premier jalon fondateur du panafricanisme

Amadou Tidiane Wone

Écrivain, éditeur et panafricaniste. Ancien Ministre de la Culture et ancien Ambassadeur du Sénégal au Canada.

 Les jeunesses africaines, d’est en ouest du Continent, et du nord au sud avec, comme en écho toutes les diasporas africaines à travers le monde, font du rêve panafricaniste l’horizon incompressible de leurs profondes aspirations. Justice est rendue à Kwame Nkrumah et à ses inspirateurs !  Justice est également rendue à tous les visionnaires qui, depuis les premières lueurs de l’aube des indépendances, avaient  entrepris de mettre sur pied l’Organisation de l’Unité africaine avec, hélas,  une tare congénitale : le principe de « l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation ». Nous payons encore le prix du manque de cohérence dans la démarche des pères fondateurs : vouloir l’Unité en consolidant la division opérée à…Berlin en 1885 ! Car, les frontières dont on parle ici sont celles tracées, arbitrairement, par les puissances coloniales,, soucieuses de la préservation de leurs intérêts, plus que du progrès et du bien-être des populations africaines. Plus de 60 ans après, le Continent dépecé,  donne l’image d’un grand corps malade qui peine à devenir l’eldorado dont ses ressources naturelles  et humaines l’autorisent à nourrir l’ambition.

Justice est rendue, aussi, à tous les martyrs des résistances africaines, à tous les leaders visionnaires et charismatiques assassinés par les officines barbouzardes qui ont écumé l’Afrique durant les premiers années des indépendances en organisant, coup d’états et révolutions de palais pour éliminer, physiquement, les dirigeants africains les plus prometteurs. Nous n’oublions rien… de Lumumba à Sankara en passant par Ben Barka, les vrais héros de l’Afrique sont ceux qui ont acquis une place dans les chants de la jeunesse africaine. Écoutez et vous entendrez…Amilcar Cabral, Félix Moumie,  Steve Biko et tant d’autres immortalisés dans les chœurs et dans les cœurs…

Alors, le moment est venu de nous concentrer sur la pose de ce premier jalon, oublié après l’accession à l’indépendance de la plupart de nos États : la déconstruction méthodique du partage de Berlin, que certains  cercles africains de prospective  commencent à élaborer sous le concept de « berlinisation » Détricoter ce qui fut crocheté  à Berlin en 1885,  pour retrouver le fil conducteur de notre histoire. Renouer avec les dynamiques socio-économiques, culturelles et économiques conformes à notre créativité et à notre ardent désir de vivre ensemble. Sortir des patchworks accolés au gré des humeurs des tailleurs de Berlin et qui ont séparé, dans plusieurs endroits, des familles consanguines avec des nationalités différentes. Ces phénomènes sont à la base de conflits permanents aux « frontières » arbitraires tracées au mépris de la réalité humaine du Continent.

Je parlais dans un billet précédent de la Souveraineté mentale, mère de toutes les Souverainetés. C’est par elle que nous devons engager la jeunesse africaine à effacer, dans sa tête et dans son cœur, les dissemblances artificielles entre pays africains. Les drapeaux/pays devront céder le pas au drapeau de l’union africaine qui s’est déjà imposé dans toutes nos institutions. Il faut aller plus loin et je suis de ceux qui croient, passionnément, qu’une intégration des politiques culturelles et d’éducation serait le premier levier, levain( ?) d’une intégration progressive des économies par une interconnexion des moyens de transport et de circulation des personnes et des biens !

Aux hommes de Culture et de Paix d’habiter ce rêve et de lui donner corps. Aux intellectuels et universitaires, d’engager la bataille des concepts pour modéliser la souveraineté mentale des générations montantes. Ainsi, après 60 ans d’indépendances partielles, nous pourrions semer dans la tête et le cœur de nos enfants, les graines de la liberté, la conscience d’être apte à soulever des montagnes !

A la jeunesse africaine nous disons : ne nous trompons pas de combat. Il n’y a pas de compétition entre pays africains. Le seul chantier digne d’engagement et de sacrifices, est de construire l’unité continentale par la mutualisation des ressources et le partage du bien-être. Toutes les divisions concourent à nous affaiblir au profit de ceux qui cherchent à nous dominer continuellement. « Diviser pour régner » Un principe intangible et redoutablement efficace que les puissances coloniales ont admirablement mis en œuvre sur notre continent. Avec l’occurrence des réseaux sociaux, on voit clair dans le jeu de plusieurs officines de désinformation qui envahissent diverses plateformes de fake news toxiques qu’il faut savoir décoder et désamorcer a temps. Prudence donc.

« Il n’y’a pas de destins forclos, il n’y’a que des responsabilités désertées. », aimait répéter mon ami et neveu le poètes Hamidou DIA. Il avait fichtrement raison ! Qu’Allah lui renouvelle Ses Grâces et Sa Miséricorde…

Jummah Mubaarack !

Amadou Tidiane WONE

info@amadoutidianewone.com

www.amadoutidianewone.com

Commentaires

6 Commentaires

  1. Zakaria DOUCOURĖ

    Salam Mr WONE.Bravo encore.Comme évoqué avant, nous avons besoin de vos expériences pour le PROJET et pour le Sénégal.
    Inchallah ce sera partagé.
    Bonne journée

    Réponse
  2. Croyant M.

    Comme vous dites, papa Wone, nous devons surtout éviter la division, car nous sommes condamnés à nous unir, tôt ou tard.

    Réponse
  3. Nasser Niane

    Excellente réflexion sur le panafricanisme encore insuffisamment exploré et passage obligé de notre communauté de destin.Nous sommes tous interpellés…les leaders d’opinion et autres conducteurs de la pensée…la jeunesse africaine en particulier.Tous les soldats de la cause, chacun armé de ce qu’il manie le mieux.Pensées pieuses à notre cher Hamidou Dia ( Boy Ha).

    Réponse
  4. Mbengue Magatte

    Salam Amadou Tidiane, et autres compatriotes,
    On est d’accord sur l’objectif panafricain, qu’il convient de préciser, et dont il faut bien esquisser une voie.
    Une poignée d’espaces géographiques culturellement, socialement, économiquement en intégration, redessinant les frontières des États.
    Je dis ces espaces en intégration parce qu’ils seront en construction par la volonté des hommes, à partir des valeurs en partage, à un horizon atteignable.
    Les valeurs fondatrices sont celles qui nous rapprochent, qui nous unissent parfois à notre insu, au plus profond de notre être : religions, langues, systèmes de parenté, règles de transmission, d’héritage, systèmes agraires ; rapports à l’humain, au travail, au temps, à l’environnement…,
    Il s’agit là d’indices, de pistes pour identifier les fondements consistants d’un devenir commun, à une échelle qui permet une ambition.
    Le Sénégal peut être un pionnier de cette construction commune, inédite dans l’histoire de l’humanité, en lançant des équipes de sociologues, d’anthropologues, d’historiens… dans ce travail de recherche et de construction des bases d’unités géographiques nationales viables, en ce vingt et unième siècle.
    En réalité, on ne partirait pas de rien : Cheikh Anta Diop, notamment, a déjà exploré cette voie.

    Réponse
  5. Lamine Lo

    Merci encore Baba pour les réflexions majeures au sujet de notre continent que tu ne cesses de mettre sur la table. Elles sont importantes parce qu’elles posent indiscutablement les véritables problèmes et enjeux auxquels le continent dans son ensemble est confronté. Tu as presque tout dit depuis que tu as commencé tes remarquables contributions à l’éveil de l’Afrique, de sa jeunesse et de ses dirigeants. Mais, je voudrais qu’on me dise aujourd’hui et maintenant quelle est la stratégie qui doit nous permettre d’amorcer enfin les changements que tu préconises et que d’autres enfants d’Afrique et de sa diaspora dont tu as cité certains ont toujours voulu voir se réaliser. Quid de l’Union africaine qui, bien que regroupant l’ensemble de nos dirigeants ne parvient toujours pas à se libérer du joug colonial et qu’en est-il des nombreuses organisations panafricaines qui, il me semble ne sont pas fédérées au niveau sous régional et encore moins au stade continental et qui travaillent chacun de son côté en solo. Et, enfin comment organiser toute cette jeunesse africaine autour de cet idéal de transformation structurelle pour l’atteinte de la souveraineté mentale. Ne devrions- nous pas comme cela s’est fait au Kenya penser à l’ouverture d’un institut panafricain, prendre contact avec les groupes les plus engagés et inviter au Sénégal des personnages comme Julius Malema qui , malgré la controverse qu’il suscite est et restera un africain fier et décomplexé qui peut apporter beaucoup à la jeunesse de notre continent.

    Réponse
    • Souleyanta

      En phase avec vous, Baaba.
      Ce discours doit retentir partout en Afrique.
      Amiin pour feu Hamidou Dia!!!

      Réponse

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