On ne peut qualifier autrement l’ouragan qui semble s’être abattu sur la magistrature de notre pays, avec des secousses en chaîne qui risquent de mettre en péril plusieurs sorts suspendus à des décisions de justice.
En huit pages vite expédiées, c’est toute une logistique qui devra se mettre en place au niveau national. De manière prosaïque, ce sont des déménagements en séries, impliquant parfois des changements de localité et de domiciles avec des conséquences sur la vie familiale, notamment la scolarité des enfants. En plus des affectations à solliciter pour cause de regroupement familial, selon que le mari ou la femme d’un magistrat déplacé doive trouver un emploi équivalent dans la ville de nouvelle affectation de son conjoint… Eh ! Oui.. Les petites choses de la vie méritent une attention particulière.
Au-delà de ces dimensions pratiques stressantes pour les fonctionnaires affectés et leurs familles, on peut considérer que ce vaste mouvement va générer un climat de fin du monde pour certains justiciables : un juge, aux prises avec un dossier, a besoin de temps pour le connaître, se familiariser avec les différentes parties prenantes, s’imprégner de la réalité humaine, parfois tragique, de chaque pièce d’un dossier pesant parfois plusieurs kilos de papier.
Au vu de l’ampleur du mouvement intervenu en ce mois de février, et dont je ne crois pas qu’il y’ait un précédent dans l’Histoire de notre pays, il convient de se poser quelques questions simples : qui n’a pas été touché par ces mesures? Qui a été consulté ? Quid de l’UMS ? Qui a préparé les décisions et quelles sont les raisons qui ont justifié un tel chamboulement?
Car, il semble bien que près d’une centaine de Magistrats ont été ventilés dans ce tourbillon d’affectations ! Comment l’institution judiciaire se portera t-elle avec autant de changements d’un seul coup ? Cette année judiciaire pourra t-elle survivre à ce tsunami ? En plus des maux multiples et multiformes qui gangrènent le corps malade de notre système judiciaire tant chahuté ces temps-ci, la question de l’efficience d’une telle mesure se pose.
On peut imaginer en effet que certains magistrats vont changer de matière: ceux qui pratiquaient le droit de la famille devront se recycler vers la pratique du droit social et du travail. Le temps d’apprentissage d’une matière à l’autre aura, à n’en pas douter, un impact sur la qualité du travail des juges.
Il y’a aussi, à l’horizon, l’instabilité interne à la juridiction avec les changements de composition des Chambres. En bonne règle, il faudrait reprendre les procédures avec les nouveaux membres des Chambres.
L’autre aspect de cette situation inédite sera que personne ne sait comment il ou elle va être jugé(e). Pour ainsi dire ! Il va falloir en effet que les justiciables réapprennent à connaître la personnalité de leur nouveau juge. Nous sommes des humains ! Entre un juge et des justiciables, une certaine familiarité s’installe, sans préjudice pour la rigueur de la Justice. Personne ne peut garantir dans quel sens un juge décidera dans des affaires de même nature. Il faudra donc se préparer à la cacophonie prévisible dans les jours et les mois à venir.
Au demeurant, est-ce raisonnable, lors d’une année pré-électorale de secouer, de fond en comble, un corps dont la nature intrinsèque appelle la sérénité, le respect des formes et des usages à la limite du rite ? En plus de la tendance de plus en plus marquée de recourir à la Justice pour arbitrer des contentieux…politiques ! Cette série d’affectations pourrait susciter des soupçons quant à la mise au pas de certains juges… Allez savoir…
Il ne reste qu’à miser sur la qualité et le sens de l’abnégation des auxiliaires de la Justice pour ne pas égarer, dans les déménagements à venir, des pièces essentielles d’un dossier dont le dénouement est à la croisée de plusieurs vies humaines…
En guise de prière, pour toutes les détresses anonymes qui errent au Temple de Thémis et qui n’en demandaient certainement pas tant !
Amadou Tidiane WONE
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