Air Sénégal, un cri de cœur

Mamadou Lamine Sow

Ancien DG aviation civile, Ancien DG Air Sénégal SA lamine.iero@gmail.com

En tant qu’ancien DG et Président d’Air Sénégal, j’ai eu le privilège de vivre de près les hauts et les bas de notre compagnie aérienne nationale. Aujourd’hui, je ressens un besoin profond de partager certaines réflexions sur la situation actuelle dans laquelle se trouve Air Sénégal.

Dans cet article, que j’ai intitulé « [AIR SÉNÉGAL, UN CRI DU CŒUR] « , je souhaite vous sensibiliser à la situation critique de notre pavillon national. C’est un appel sincère à l’action, un appel à la solidarité de tous les Sénégalais pour soutenir notre compagnie aérienne dans ces moments difficiles.

Je soulève quelques défis de gestion auxquels nous sommes confrontés, les interférences politiques qui ont parfois entravé notre progression, ainsi que les réalités du marché régional et continental. Mais surtout, je propose des solutions, des pistes de réflexion pour un avenir plus prometteur pour Air Sénégal.

La situation critique dans laquelle se trouve le pavillon national est aujourd’hui source de préoccupation collective ; c’est un véritable cri du cœur qui est lancé aux 18 millions de sénégalais.

Pour ma part, quel qu’en soit l’issue, la dimension gestionnaire ne doit pas être absente de la décision de l’État.

Laisser la compagnie nationale sombrer corps et bien relève d’une grande responsabilité qui s’apparenterait à jeter le bébé avec l’eau du bain car, en effet, les responsabilités sont partagées.

Une part de ces responsabilités revient à l’ingérence ; une autre part revient à la mauvaise gestion, il faut bien le dire ; et le reste revient à l’environnement intrinsèque du transport aérien dans notre région. Je m’explique.

Pour la part qui revient à l’ingérence, je m’en vais rappeler un exemple vécu sans trahir un quelconque devoir de réserve.

Lorsqu’il s’est agi d’inaugurer l’ouverture des pistes à AIBD, l’autorité d’alors avait choisi de faire opérer cette séquence par des avions gros porteurs de dernière génération du type Airbus A330 neo alors, hors de portée de la bourse de la toute jeune compagnie aérienne qui, néanmoins disposait déjà de deux avions bi-turbopropulseur de type ATR-72 acquis en propre. Un choix politique aux antipodes de tout souci de rentabilité.

L’entrée de ces deux (2) avions A330 neo de manière prématurée a bouleversé les plans de croissance de la compagnie qui devra désormais naviguer hors des sentiers battus et faire face à ses premiers soucis de trésorerie et d’équilibre global.

La suite, nous la vivons encore, des errements de management à cause d’une acquisition mal digérée qu’il fallait sanctionner…

Pour ce qui est de la seconde part de responsabilité :

Faire appel à des personnalités de l’extérieur n’est pas en soit un véritable problème, l’essentiel est de faire appel à des personnes qui veulent servir un pays et qui ont des convictions assises sur une expérience reconnue.

Les successeurs de cette première direction ont, durant toute leur présence à la tête de la jeune compagnie, multiplié les risques techniques et financiers dans une stratégie de croissance interne agressive et dont ils n’avaient apparemment pas de solutions ni de moyens financiers. Ils s’honoraient dans une interview d’un modèle économique qui fonctionne à travers ces propos, je cite : « nous sommes très pragmatiques, on regarde tout simplement ce qui fonctionne. On achète des avions neufs de dernière génération qui ont une forte valeur et on les opère sur une route à forte rentabilité. C’est notre « business model ». Celui-ci a d’ailleurs été salué récemment par la Conférence financière de Johannesburg …. Et de grands groupes bancaires ont salué le « business plan » d’Air Sénégal, en disant : simple, efficace, extrêmement performant et bien amené ! » fin de citation.

Ces erreurs de management ont conduit aujourd’hui le pavillon national vers des jours sans lendemain…

Et enfin, l’autre part de responsabilité incombe à notre environnement intrinsèque. Voyez-vous, nous trainons deux handicaps structurels dans la gestion du transport aérien, au plan régional et au plan domestique.

Dans notre sous-région, de nombreuses petites compagnies voient le jour mais le plus souvent leur existence reste éphémère. Les principales causes relevées sont le fait qu’elles subissent l’ingérence des dirigeants sans connaissance du métier du transport aérien et parfois un marché mal évalué avec des coûts sans rapport avec les recettes.

Cependant, parmi ces handicaps les plus sévères restent les coûts d’exploitation directs qui sont parmi les plus élevés au monde, la sous-capitalisation et l’absence de taille critique.

Au plan régional et continental: La faible intégration de notre continent apparait aujourd’hui comme un frein au développement du transport aérien intra-africain. Les échanges économiques restent encore faibles. Or les réseaux de routes aériennes les plus efficaces sont assis sur ces courants économiques que nos États entretiennent mutuellement. Il est par ailleurs illusoire d’imaginer la coexistence de plusieurs compagnies exploitant des modules d’avions de plus de 100 sièges si l’on considère que la distance moyenne entre deux capitales de la sous-région ou villes principales est d’environ 400 à 500 Miles nautiques (900 Km).  

On observe dans les zones où le trafic passager est important une multitude de compagnies, ce qui entrainent une baisse des tarifs bénéfique pour le consommateur cependant, les coûts d’exploitation n’ont pas diminué pour autant, ce qui fragilise davantage la position de certaines compagnies.

Par contre, dans d’autres zones où l’exploitation ne tient qu’à des contraintes de service public, les liaisons sont purement et simplement délaissées par ces compagnies pour faute de profit. l’intérêt des voyageurs reste marginal. L’intervention de l’État est requise.

 Au plan domestique                                                                                                                   

Le trafic domestique de la région demeure plus que jamais, marginal du fait de la faiblesse du PIB par habitant. Le réseau routier est alors privilégié par la population en demande de transport.

Dans ces conditions, exploiter des réseaux conséquents permettant d’amortir les coûts d’exploitation reste un véritable casse-tête, à quelques exceptions près.

Seul un pays comme le Nigeria détient un réseau intérieur développé, du fait de la taille critique de sa population et du niveau de ses activités économiques. Plus d’une cinquantaine de compagnies aériennes y opèrent et se concentrent sur le domestique sans avoir besoin de desservir le régional ou l’international pour rentabiliser leurs activités ; ensuite les États insulaires comme le Cap Vert qui sont obligés de développer leur transport aérien domestique et en Afrique Centrale avec le Gabon qui se distingue en termes de trafic domestique, du fait d’un trafic routier difficilement praticable.

En conclusion,

La fiabilité et la rapidité des échanges restent aujourd’hui des prérequis à l’intégration et au développement économique dont l’Afrique a besoin.

C’est pourquoi, le discours de Monsieur le Ministre des infrastructures, des transports terrestres et aériens est rassurant et prend tout son sens, je cite : « …. nous avons pour ambition de faire de ce secteur un moteur essentiel de la croissance économique et de création d’emplois ».

Ces différents constats renvoient tous au problème de rentabilité de nos compagnies aériennes que l’étroitesse de leurs marchés empêche de rendre pérennes.

Pour changer la donne, le recours à des politiques hardies de libéralisation du secteur aérien serait de nature à nous sortir de l’ornière en attirant les investisseurs privés étrangers, en adoptant des cadres de politiques macro économiques appropriés, en réglant les problèmes de bonne gouvernance, en garantissant une paix durable et une stabilité politique, en faisant valoir notre position géographique, en améliorant les infrastructures et professionnalisant davantage les acteurs.

l’État du Sénégal, conscient des avantages et des enjeux du transport aérien devra donner au secteur aérien les conditions de son développement, faire du pavillon national, un opérateur fort au service de ses populations, de son économie, de ses opérateurs économiques, mais aussi au service de ses relations internationales, du tourisme et de l’intégration africaine pour faire du Sénégal une véritable puissance aéronautique régionale.

Revisiter la pertinence des politiques sectorielles en place, notamment cette ambition de faire du Sénégal un hub aérien régional alors que sa vocation est plutôt internationale au vue des statistiques du trafic passage depuis des décennies. Sur un trafic annuel de 2.942594 passagers en 2023, AIBD n’a enregistré qu’un total de 171 278 passagers en transitun ratio de 0,058  soit un taux de 5,80 % qui symbolise la politique de hub régional mise en œuvre depuis bientôt sept (7) ans, alors que le trafic des passagers en transit reste stable depuis plus d’une décennie : 171 278 pax en 2023 ;  de 190 724 pax en 2014 et de 176 256 pax en 2015, ce qui démontre clairement que la vocation de Dakar, compte tenu de sa position géographique excentrée à mi-chemin entre l’Europe , l’Amérique et le Moyen orient doit rester  un hub international et non régional.

Air Sénégal SA reste la colonne vertébrale de notre système aérien, son maillon central mais aussi son maillon faible, nous suggérons à l’État son renforcement et sa pérennisation qui passent par une politique hardie de réduction de ses charges, notamment aéroportuaires, pour permettre un soutien et à la modernisation de l’économie nationale et au plus grand nombre, de découvrir l’expérience du voyage aérien.

Mamadou Lamine Sow

Ancien DG aviation civile

Ancien DG Air Sénégal SA

lamine.iero@gmail.com

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