Avons-nous encore besoin d’un Régime Présidentiel au Sénégal?

Ass Malick MBAYE

Bonn, République Fédérale d’Allemagne. Mail : malick9@icloud.com

La crise de 1962

Le régime présidentiel fut instauré au Sénégal par le président Senghor à la suite des évènements de 1962, qui marquaient la première grande crise politique du pays fraichement indépendant après l’éclatement de la fédération du Mali au mois d’Août 1960. Ceci mettait fin à un régime politique dit bicéphale largement inspiré de la IV République en France, caractérisé par le partage des pouvoir entre le président de la République et le président du Conseil du Gouvernement. il y avait une séparation claire des responsabilités entre les deux protagonistes au sommet de l’Etat Senghor et Mamadou Dia. Alors que le premier s’occupait à consolider les bases d’une jeune nation qui apprenait à peine à marcher, le deuxième s’assurait du bon fonctionnement de l’Etat dans sa dimension opérationnelle. Ils étaient complémentaires l’un de l’autre avec une complicité assez forte malgré leur différence de styles. L’équilibre était ainsi trouvé au sommet de l’Etat. Malheureusement la crise de 1962 éclata et Senghor en sorti “vainqueur”. Une nouvelle constitution fut adoptée l’année d’après, qui instaura alors un régime présidentiel avec une forte concentration des pouvoirs entre les mains du président de la République. Senghor domina ainsi la vie politique au Sénégal dans les vingt années qui s’en ont suivi. Il instaura un parti unique en interdisant les autres partis politiques de l’époque (PAI, BMS) et contraignit certains de leurs leaders à l’exil.

Est-il possible d’avoir un équilibre des pouvoirs dans un régime présidentiel?

Senghor dirigea le Sénégal d’une main de fer pour ne pas dire d’acier. Officiellement il y avait une séparation des pouvoirs entre l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire, la réalité était et demeure que le président de la République détenait (et détient à ce jour!) tous les pouvoirs, directement ou indirectement. C’est lui qui nomme le président de l’assemblée nationale, nomme les juges et souvent s’assure de la majorité à l’assemblée nationale par son parti. Son influence sur les autres organes de l’Etat est énorme et visible.

Le président Abdou Diouf dauphin et successeur de Senghor amena quelques allégements en introduisant le multipartisme réel et l’ouverture de l’espace médiatique mais n’empêche qu’il détenait tous les pouvoirs importants en tant que chef de l’Exécutif pour les mêmes raisons citées précédemment. Les crises politiques se succédaient sous son magistère (comme sous Senghor) sans possibilité véritable de rupture ou de changement. Il dissolut la police, élimina le poste de premier ministre (pour un temps), invita son principal opposant à le rejoindre et travailler dans le gouvernement à maintes reprises pour diffuser les crises et tensions mais tout cela n’a jamais vraiment emmené le changement tant désiré par le peuple. Il quitta le pouvoir esseulé et essoufflé.

Abdoulaye Wade arriva au pouvoir ayant avoir suscité beaucoup d’espoir vu sa longévité dans l’opposition et son expérience. Il introduisit un système assez libéral, se démarqua des “alliés” traditionnels du Sénégal notamment la France, amorça un programme de modernisation des infrastructures mais très vite céda à la tentation d’accumuler plus de pouvoir et d’occuper plus d’espace. On l’accusa de dévolution monarchique, le soupçonna d’avoir voulu passer le pouvoir à son fils Karim. La détermination des sénégalais finit par avoir raison de lui et il concéda sa défaite au soir des élections présidentielles de 2012.

Macky Sall qui fut alors élu sur la base d’un gouvernement sobre et vertueux, après avoir échoué dans ses plans d’usurper un troisième mandat contrairement aux dispositions de la loi, se résume coûte que coûte à vouloir contrôler le pouvoir par d’autres moyens. Comme disait Thierno Alassane Sall, “il a renoncé à un troisième mandat mais pas au pouvoir! Le simple fait que son parti attende qu’il leur désigne un candidat aux prochaines élections montre le caractère autocrate de cet homme complètement enivré par les vanités du pouvoir. Pourtant il est le premier président á être né après les “indépendances” et qui soit aussi un pur produit du système éducatif sénégalais, ayant fait ton son cursus scolaire et universitaire au pays. L’on avait espoir qu’il aurait eu une démarche de rupture. Que nenni! Dans un élan euphorique après son élection à la tête du pays, Il promut des reformes constitutionnelles qui avaient suscité beaucoup d’espoir. Mais voila qu’une décennie plus tard il essaie par tous les moyens de s’agripper au pouvoir. Voila que son gouvernement dissout PASTEF un parti politique arrivé troisième lors des dernières présidentielles et qui a présentement un nombre important de députés à l’Assemblée Nationale!

 Le désir diabolique de Sall d’asphyxier l’opposition,  la “réduire à sa plus simple expression” risque de plonger le Sénégal dans une crise socio-économico-politique aux conséquences désastreuses. Il remet en cause des années de lutte et de sacrifice et par la même occasion freine l’élan de libération et d’auto-détermination qui se semble se propager en ce moment en Afrique en général et plus particulièrement en Afrique de l’Ouest. Il ne faudra surtout pas qu’il réussisse! La France qui est entrain de perdre sa mainmise sur les ressources du continent va logiquement essayer de se rabatte sur le Sénégal pour garder, voire récupérer ce qu’elle pourra. Pour cela elle a besoin d’un commis comme Sall. Il est de notre devoir de ne pas être leurs complices dans leur logique de pillage et de destruction!

Ainsi nous voyons clairement que pendant tous les 4 magistères qui se sont succédaient au Sénégal il y a eu à un moment donné, d’une manière ou d’une autre une tentative de confiscation et d’abus de pouvoir par le président de la République en exercice. Il semblerait que cette tentation devient grandissante avec le temps. Le président devient conscient du pouvoir immense qu’il détient entre ses main, en devient “ivre” et tente une confiscation de l’autorité publique!

Comment se prémunir contre une tentation de dérive autoritaire?

Une façon de protéger la démocratie et aussi protéger les présidents en exercice contre leurs propres dérives autoritaires et autocratiques serait de restaurer l’équilibre des pouvoirs au sommet de l’Etat. Pour cela il faut nécessairement diminuer les pouvoirs du président de la République!

Le régime parlementaire serait à mon avis une bonne solution qui permettrait une participation plus directe et plus active du peuple dans les décisions importantes de l’Etat. Presque tous les grandes démocraties ont un régime parlementaire. J’en cite deux modèles ci-dessous pour illustrer mon propos:

Le modèle Suisse

c’est le meilleur modèle démocratique dans le monde à mon avis. on l’appelle démocratie de consensus! Il n’y a ni premier ministre, ni chancelier qui détient un quelconque pouvoir de décision! Le peuple est directement impliqué dans les affaires publiques. Les plus importantes décisions sont prises au niveau local, soit au niveau des cantons ou au niveau des communes. l’Etat fédéral est d’un coté responsable de sept départements que sont: la monnaie, l’armée et la douane, les relations extérieures (la diplomatie), l’environnement, les affaires intérieures, la justice fédérale, les communications fédérales (les autoroutes inter-cantonales, les télécommunications et la poste), l’énergie, une partie de l’éducation (les universités techniques). D’un autre coté les cantons et les communes se chargent des questions pratiques de proximité telles que la police, la santé, les questions de cultes, certaines questions liés au droit des citoyens, les infrastructures locales, l’approvisionnement en eau, la gestion des ressources naturelles etc… . les représentations se font à plusieurs niveaux. Dans un système pareil il est presque impossible qu’il y ait abus de pouvoir de tel ordre que ce soit! Les citoyens décident de leur destin en toute indépendance et maturité! (1)

Le modèle Allemand

Contrairement au modèle Suisse il y a en Allemagne un chancelier qui est responsable d’appliquer le programme sur la base duquel son parti a été élu. Mais n’empêche qu’ici également les responsabilités de l’Etat sont partagés dans un esprit d’équilibre entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire aussi bien au niveau fédéral qu’au niveau des états (Bundesländer). En plus les états fédéraux ont beaucoup de responsabilités quand à leur fonctionnement propre. Ils peuvent même parfois se mettre en contradiction avec le gouvernement fédéral sur certaines questions législatives ou autres.

Du coté de la justice la cour constitutionnelle se charge d’examiner exclusivement les violations des droits fondamentaux dans les jugements et les lois. Il est composé de seize juges qui sont pour la moitié élus à la majorité des deux tiers du parlement (Bundestag) et du sénat (Bundesrat). Aucune influence du chancelier n’est possible, garantissant ainsi leur indépendance totale!

L’Allemagne de par son histoire est très consciente du danger d’un régime présidentiel. Cela explique son choix de distribuer les pouvoirs et responsabilités au maximum afin d’éviter des dérives autocratiques.

Conclusion

Même si chaque pays choisit le régime politique qui découle de son histoire et qui convient le mieux à ses réalités socio-culturelles et à l’aspiration de ses citoyens il n’en demeure pas moins que certains régimes favorisent beaucoup plus les tentations de dérives que d’autres. L’histoire a démontré que la probabilité qu’un pays tombe dans une dictature est beaucoup plus élevée dans les régimes dits présidentiels que parlementaires. Les régimes parlementaires ont aussi leur limites mais celles-ci sont souvent d’ordre institutionnel. L’Être humain étant ce qu’il est la tendance á vouloir toujours plus de pouvoir est un phénomène avéré qu’il faut essayer de contrôler voire combattre à tout prix si cela se fait au détriment des autres. On dit qu’il vaut mieux prévenir que guérir. J’en rajoute qu’il est mieux d’éviter la tentation que de combattre ceux en deviennent victimes. Nous pouvons repenser notre régime politique au Sénégal s’il cela peut nous aider à préserver cet acquis si précieux qu’est la Démocratie! Le pouvoir rend fou et trop de pouvoir rend complètement fou!

Ass Malick Mbaye

malick9@icloud.com

Commentaires

2 Commentaires

  1. Sanou Mbaye

    Voilà un bel état des lieux de la situation politique du pays qui ne peut évoluer qu’en s’améliorant tant qu’il y aura des réflexions de ce calibre. L’écriture est l’instrument idéal pour analyser, éduquer et propager des idées novatrices.
    Continue petit frère de militer pour le changement en produisant des textes de cette qualité.

    Réponse
    • SAHER SECK

      Belle analyse Ass
      Il nous faut plus un débat d’idée plus qu’ débat de rue .
      Mes encouragements

      Réponse

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