Méditations sur la condition humaine post-covid

Alassane K. KITANE

Sorti de l'École normale supérieure de Dakar, AK KITANE est aussi un intellectuel engagé qui publie des tribunes et chroniques dans différents quotidiens. Il est auteur de Le Sénégal sous Wade. Cahiers d’une démocratie sans démocrates (L’harmattan, 2010) et de La dissertation et commentaire philosophiques en classe de terminale (L’harmattan, 2018)

De ce que le dieu Mammon nous a réduits en esclaves

Selon certains astrophysiciens il y aurait des univers parallèles à celui que nous vivons, mais que nous ne pouvons guère percevoir. J’avoue que le littéraire que je suis ne comprend pas grand-chose à ce charabia, mais je sais que nos rêves sont déjà des univers parallèles. Dieu créa le monde par le verbe (Logos), l’homme l’imita et créa une infinité de mondes par sa fantaisie. Comment pourrions-nous même à proprement parler vivre sans cette capacité à nous projeter au-delà du réel et à lui opposer des réalités plus commodes ?

Imaginons un survivant d’un équipage d’une fusée qui se serait échoué dans une planète méconnue de l’astrophysique. La distance qui le séparerait de la terre et de l’humanité serait si grande que même si la possibilité de vivre seul dans une telle planète était établie, il s’ennuierait au point de préférer ne pas survivre. Mais imaginons que dans sa solitude cosmique, brusquement un cheval se tienne devant lui. La différence entre l’homme et l’animal cesserait d’exister pour lui et il se sentirait si extraordinairement proche de ce cheval qu’il préférait marcher en sa compagnie plutôt que de le monter ! Une amitié indéfectible se noueraient entre ces deux êtres ; et il n’est pas impossible que la relation de domestication ne soit guère envisagée ici. Notre grandeur lui révélerait notre faiblesse, mais une faiblesse cesse d’être une faiblesse quand elle est soutenue par l’inépuisable énergie de l’amour. Amour, voilà le remède à nos maux.

Cette pandémie de covid19 ne nous décimera pas, elle nous affaiblira seulement, mais nous pouvons choisir de nous renforcer par elle, grâce à elle, ou plus exactement, à cause d’elle. Est-ce vraiment cette humanité malmenée par un virus qui a causé tant de morts par des guerres économiques, civiles et religieuses ? Et si la pandémie nous sermonnait sous forme d’un châtiment destiné à rendre plus raisonnables, plus humains et moins égoïste ? Nous sommes très avancés dans la connaissance de la vie, de la matière, du cosmos, mais sommes-nous vraiment allés loin dans la connaissance de nous-mêmes, de l’homme ? Il y a trop de disparités dans le monde, trop de cruauté envers une majorité d’hommes, trop de mépris et d’indifférence envers ceux qui nous semblent différents. Différences raciales, différences confessionnelles, différences de classes, de condition sociale… Notre entendement technocratique a tout séparé, parce que nous sommes devenus les serviteurs de Dieu et de Mammon à la fois. La tyrannie de la raison se manifeste sous nos yeux par une technocratie qui exclut toute forme de transcendance et fragilise du coup le champ de nos valeurs.

Pourquoi tous les gouvernements du monde sont si faibles et brouillons dans la gestion de la pandémie ? Les plus grandes puissances sont paradoxalement d’ailleurs plus éprouvées que les pays dits en développement. Il n’y a pas de doute que les pays industrialisés ont les moyens suffisants pour faire face à cette pandémie, mais ce qu’ils ont perdu c’est la faculté d’en bien user. Car le plus important pour l’homme ce n’est pas « pouvoir », c’est plutôt « devoir » (moralement parlant) ; ce n’est pas avoir, c’est plutôt être ; ce n’est pas asservir, c’est plutôt affranchir. Affranchir le pauvre de sa situation, affranchir l’ignorant par une éducation plus soucieuse de l’homme que du capital. Où sont aujourd’hui les milliardaires ? Dans quelle planète vont-ils se réfugier maintenant ? Où sont les terroristes qui massacrent au nom de la religion ? Où sont les gouvernants qui, au nom de la laïcité, persécutaient des croyants ?

Le destin des peuples doit cesser d’être confié à des populistes sous la coupole de puissances secrètes qui font et défont les régimes selon leurs spéculations. Partout les populistes sont au pouvoir, mais ils ne savent que faire pour rendre la vie des hommes meilleure. Ils ne sont pas au pouvoir par une quelconque sagesse, ils y sont justement par le contraire : l’absence de sagesse. Le populiste est l’enfant choyé de la technocratie : il est comme une machine programmée. Il conte au peuple la misère que lui a causée la technocratie pour se poser en Messie, mais dans les faits il n’est qu’un mannequin.

La technocratie qui a squatté la démocratie ne veut pas d’un véritable changement, c’est pourquoi elle met ses hommes, ses marionnettes plutôt, en orbite. La finance mondiale, les grandes firmes sont les marionnettistes qui tirent sur les ficelles que ces faux présidents qui promettent des réformes pour la croissance. Croissance ! C’est le nouveau dogme de l’humanité. Les populistes nous ont vendu le mythe du moins d’État et ont tout sacrifié sur l’autel de l’économie. On ne peut pas soumettre la santé et l’éducation à la logique capitaliste, le monde ne s’en sortira pas à ce rythme.

L’uniformisation outrancière ne produit pas plus de richesses, c’est un leurre. Elle appauvrit l’humanité et enrichissant les cannibales qui veulent la vie tout entière pour eux. L’impasse du système est l’argument contre son caractère illégitime et inique. C’est quoi une humanité qui déclare avoir atteint la ménopause dans l’invention de l’homme, dans la création de nouvelles valeurs, dans la fécondité politique ? Comment peut-on décréter que c’est la fin de l’histoire pour nous comme si nous étions des objets manufacturés ?

Nos difficultés actuelles peuvent se résumer à trois petits mots : absence de transcendance. La transcendance, c’est l’État et/ou Dieu. Nous avons aboli l’État pour faire place à l’économie, nous avons préféré être les esclaves des firmes plutôt que d’être sujets de Princes. Les causes de nos tourmentes sont à chercher dans l’aporie de notre liberté. Les siècles précédents ont souffert de l’État, nous avons préféré la liberté à l’État, mais notre mal est pire. Confions notre destin à l’État pour une véritable communauté mondiale où les États seront des personnes morales. Nous avons besoin de réinventer l’État sous peine d’être broyés par la cupidité du capital. Il nous faut ressusciter l’État pour donner à la société plus de cohérence et de force morale. L’État nous manque, il s’est affaissé devant l’économie et lui est devenu servile, faisant de nous des serviteurs de serviteurs.

Le mal du siècle, c’est le système, ce n’est pas corona, c’est bien le système. Pauvre corona a bon dos, mais ce qui dépend de nous nous ruine davantage que corona. C’est notre propre démon qui est en train de nous combattre. Ce démon s’appelle Monétarisation. La monétarisation du foncier, de l’eau, de la santé, de l’école et de l’agriculture ne pouvait pas ne pas se retourner contre nous. Corona ne fait qu’exploiter nos propres turpitudes pour freiner notre arrogante cécité morale. Quand on adore la monnaie, il n’y a pas de raison que la vie ne soit pas assujettie aux mêmes aléas que la Bourse. Nos modèles économiques ne sont pas favorables à l’épanouissement de l’homme.

De ce que l’homme ne peut s’épanouir que dans la diversité et la liberté

Nous avons également aboli Dieu, ou pire, nous l’avons simplement instrumentalisé ; il est même devenu un enjeu de guerre ! Chaque religion revendique Dieu pour elle seule, comme si c’était sa propriété. Or Dieu est incommensurable à toutes les religions cumulées, a fortiori à une seule d’entre elles. Les différentes religions expriment l’infinité de la divinité : la façon dont celle-ci se révèle d’après des formes susceptibles d’être perçues par des hommes est ce qu’on appelle religion. Dieu est trop grand pour se laisser confiner dans une religion ou une confrérie. La diversité des religions (comme celles des cultures) ne prouve pas leur fausseté, elle prouve seulement la finitude de l’homme et de ses œuvres.

Dieu est infini, l’homme est fini : quand l’infini se révèle dans le fini, il y a forcément décalage. Toutes les religions ne sont que des étincelles de la divinité. Aucune religion n’épuise la divinité, pas plus qu’aucune culture n’épuise l’humanité. Ignorer cela c’est ignorer sa propre humanité. Combattre la pluralité des cultes et des cultures c’est renoncer à sa propre humanité, c’est faire la négation de sa propre religiosité. La divinité nous transcende et nous unit dans notre condition humaine : elle cesserait de nous unir si elle cessait de nous transcender. C’est donc se déchoir soi-même de cette divinité que de chercher à la ramollir et à l’appauvrir en la réduisant à sa propre approche de la divinité.

Nous ne sommes pas supérieurs aux animaux par les armes sophistiquées que nous créons ; au contraire nous les imitons en fabriquant des armes. Nous ne pourrons faire renaitre un véritable humanisme que lorsque nous réussirons à nous unir autour de la condition humaine d’abord, et à réviser notre rapport à la nature ensuite. Aussi longtemps que nous ne comprendrons pas que le sens et le salut de notre vie en tant qu’individu, groupe social ou communauté impliquent ceux d’autres individus, groupes sociaux, et communautés, nous ne remplirons pas pleinement la vocation humaniste que chacun porte en lui.

L’humanisme d’un monde aussi globalisé que le nôtre c’est avant tout la reconnaissance que l’humain est un « à-venir », un horizon jamais bouché, mais au contraire toujours ouvert vers plus de possibilités et, par conséquent de différences. Le rapport à la nature doit être conçu et vécu sous l’angle du partage : partage avec les autres membres de notre famille « Nature » ; partage avec nos contemporains, mais aussi partage avec les générations futures. L’humanisme c’est d’abord la modestie (nous ne sommes pas meilleurs que les autres) c’est ensuite la générosité (communiquer et partager) c’est enfin le respect (la reconnaissance de la valeur d’autrui et la célébration de son mérite). Nous sommes sur la même terre, ô combien fragile ; nous vivons les mêmes angoisses existentielles ; nous avons le même défi à relever, à savoir perpétuer la vie et l’humanité telles que nous les avons reçues.

Par Alassane K. KITANE

Cet ex pensionnaire de l’École normale supérieure de Dakar est aussi
un intellectuel engagé qui publie régulièrement des tribunes
et chroniques dans les différents quotidiens de la place.
Auteur de Le Sénégal sous Wade. Cahiers d’une démocratie
sans démocrates (L’harmattan, 2010) et de La dissertation et commentaire
philosophiques en classe de terminale (L’harmattan, 2018)

Commentaires

1 Commentaire

  1. Cherif Abdallah Massene Seck

    Félicitations mon cher frangin. Pas besoin de t’encourager puisque tu es déjà engagé et que tu vas avancer sur le chemin que tu choisi et vers ton but.
    Alors je dis juste avec toute ma solidarité fraternelle merci pour cette initiative et cette prise de responsabilité.

    Réponse

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