Tragique destin

Mamadou DIOP

FOLLE AMBIANCE

Plusieurs interventions d’intellectuels, d’hommes politiques et de journalistes publiées ces dernières semaines sur la toile, ont soulevé la gravité de la situation que traverse le Sénégal et qui s’envenime au fur et à mesure qu’approchent les élections législatives du 31 juillet 2022 amenant certains à préconiser leur report.

Dans mon livre intitulé « VISION ET PROJET DE SOCIETE » (2019), je déplore le fait que l’Afrique soit « la seule partie du globe où une élection semble toujours annoncer la fin du monde ». Le Sénégal en fait aujourd’hui une flagrante démonstration dans une folle ambiance d’invectives, d’injures, de menaces, de manifestations et de répressions. Au point qu’on parle même d’impliquer l’Armée dans les opérations de maintien de l’ordre. C’est à croire que dans ce brouhaha troublant et inélégant, il n’y a pas place pour un débat d’idées et une confrontation de programmes.

L’on pousse ces agressions cruelles contre l’image du pays jusqu’à l’exposer à des remous ethnicistes qui pourraient nous faire basculer dans l’horreur d’une guerre civile dont de nombreux pays, africains ou autres, ont gardé des séquelles indélébiles. Cette vilaine ambiance qui annonce des secousses telluriques, tient, à mon sens, à deux phénomènes convergents qui touchent les trois Pouvoirs de l’Etat, l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire.

DESEQUILIBRE INSTITUTIONNEL

Au sommet de l’Etat, un net déséquilibre en faveur du président de la République lui confère des pouvoirs exorbitants dont il use et abuse à sa guise sans aucun contrôle. Cela ne date pas d’aujourd’hui ; si nous avons fait du « couper-coller » en reproduisant sans nuances les lois françaises dans notre architecture institutionnelle, nous avons très peu suivi l’ancien colon dans l’application de ces textes fondateurs. Un seul exemple suffit pour en administrer la preuve : c’est le système du parrainage si décrié, même par la CEDEAO, et qui en France avait amené, à l’approche de la dernière présidentielle, des proches du régime de MACRON à aider un challenger comme Marine LEPEN à compléter sa liste de parrains. C’était là la manifestation d’un esprit élégant et républicain bien rare sous nos cieux. Pour dire le moins.

Chez nous, le parrainage semble ne viser qu’un seul but : permettre au ministère chargé des élections et au Conseil constitutionnel d’éliminer des listes de l’opposition. On se retrouve dans une situation incongrue où les citoyens qui avaient donné leur parrainage à la liste de YEWI-WALLU, au vu des noms de titulaires qui y figuraient, voient aujourd’hui des suppléants se substituer à ces derniers.

Personne n’est dupe, la manœuvre était simple, il fallait éliminer certains candidats comme Ousmane SONKO, Khalifa SALL, Guy Marius SAGNA, Moustapha SY, pour ne citer qu’eux, afin d’affaiblir la liste d’opposition la plus représentative. Et voilà comment on crée les conditions d’une explosion dont le pays pourrait et devrait se passer.

LE TROISIEME MANDAT A TOUT PRIX

Tout cela est motivé par la psychose d’un homme angoissé par l’approche de la fin de son règne dont la Constitution, (« sa » Constitution), rejette la prolongation en excluant, très clairement, la candidature à un nouveau bail de quiconque a fait deux mandats consécutifs. C’est ici que l’on mesure l’importance des législatives à venir quand on sait que Macky n’hésitera pas à recourir à une loi constitutionnelle pour modifier la Constitution s’il dispose d’une majorité confortable au Parlement. C’est peut-être ce qui avait amené Ely Madior FALL, rédacteur de la Constitution, à réclamer le titre de « tailleur de haute couture » en oubliant qu’au Sénégal, une forte majorité de la population s’habille de friperies.

Assuré de l’appui des « puissants » du nord, Macky semble ne se douter de rien allant jusqu’à se vanter de « disposer du pouvoir et des forces ». Or, il n’y a de force et de puissance qu’en DIEU. La démonstration en a été apportée à l’Homme tout au long de son Histoire par la fin tragique de tous ceux qui, au sommet de leur puissance, ont connu une fin tragique.

Tant qu’en Afrique, on laissera prospérer une trop forte concentration de pouvoirs entre les mains d’un homme qui ne supporte aucune opposition, ni même aucune contradiction, on ne se souciera même pas d’une démocratie formelle bâtie sur des textes juridiques copiés ailleurs, des élections truquées, des mesures répressives contre l’opposition et des basses manœuvres pour la réduire à sa plus simple expression. On oublie ainsi que si l’opposition n’a plus droit de cité, c’est la rue qui prend le relais.

Si nous ne cherchons pas un équilibre solide et durable entre les Institutions de l’Etat, si l’Assemblée n’est pas en mesure de contrôler l’action de l’Exécutif, si la Justice ne garantit pas l’existence et le fonctionnement régulier d’un Etat de droit, rien ne peut nous préserver des chocs tragiques et meurtriers vécus ailleurs. L’invasion du Capitole par des fanatiques de TRUMP, à l’occasion du scrutin présidentiel de 2020, devrait faire prendre conscience à OBAMA que ce n’est pas seulement l’Afrique qui a besoin d’Institutions fortes et non d’hommes forts, mais que cette règle est valable pour tous les pays.

L’ENJEU

Notre première urgence est de déconstruire un système bâti :

  • sur les coups de force contre des opposants traqués de jour en jour avec des dossiers d’accusations fallacieuses montés par des amateurs nuls et médiocres tels ceux qui ont été fabriqués contre Ousmane SONKO (viol, détournement de fonds publics, appartenance à des groupes extrémistes, ethnicisme…);
  • les abus manifestes de pouvoir allant jusqu’à l’arrestation de députés et de maires pour délit d’opinion ;
  • l’enrichissement scandaleux et l’impunité de proches du sommet dont les deux derniers exemples sont le vol chez le « griot du président » d’une somme de près d’un milliard CFA, et les révélations sur le portefeuille d’une société sénégalaise de transport aérien prise en flagrant délit de convoyage de soldats ivoiriens pour le compte d’une entreprise privée opérant au Mali ;
  • le bradage du patrimoine national au profit de trois ou quatre Etats et de leurs opérateurs qui s’appuient sur leurs suppôts locaux ;
  • l’alignement sur des positions géopolitiques qui ne tiennent nullement compte de nos intérêts.

Assurément, le 31 juillet prochain, le Sénégal va jouer son avenir. Il reviendra à tous les Sénégalais de poser, d’une manière consciente et responsable, un acte citoyen qui pourrait, soit plonger notre pays dans une tragédie meurtrière, soit ouvrir la porte à une démocratie réelle avec des soubresauts politiques mais gérables. Citoyens, à vos urnes.

Mamadou Diop

le 17 07 2022

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