La France en ébullition

Mamadou DIOP

La sanction de l’arrogance

Le monde observe ce qui se passe depuis plusieurs semaines en France où un projet de réforme du système des retraites provoque des manifestations violentes que les services de sécurité répriment avec une vigueur qui nous rappelle les heures les plus chaudes de la période des manifestations des « Gilets jaunes ». Cela nous rappelle aussi des heurts plus proches de nous…

Voilà une réforme dont, au-moins, 75% des Français ne veulent pas, mais que le Gouvernement d’Elizabeth BORNE tenait à faire passer à tout prix au  point de recourir à l’article 49.3 de la Constitution pour exclure tout vote des parlementaires. Ce passage en force, qui a exposé ce Gouvernement à une motion de censure à neuf voix près, a surchauffé le front social au point que certains analystes n’excluent pas un retour de bâton contre MACRON lui-même, le véritable initiateur d’une réforme qui risque de précipiter la fin de son second quinquennat.

Le président français confirme là sa réputation d’arrogance qui ne sera pas démentie en Afrique où sa dernière tournée en a donné une affreuse nouvelle démonstration.

Il n’est pas besoin de nous attarder sur une explication de texte pour décrire les tenants et aboutissants du projet de loi que le Gouvernement avait glissé dans une loi des finances rectificative, ce qui, au vu de l’impact de la réforme sur la société française, pose problème. S’y ajoutent des déclarations jugées insultantes par les adversaires du Gouvernement et dont MACRON lui-même a donné le pire exemple en invoquant « l’illégitimité démocratique » du mouvement contestataire. Voilà ce qui a renforcé la cohésion des principales centrales syndicales qui ont vu là une belle occasion de rappeler au chef de l’Elysée qu’il n’était pas à la tête d’une république bananière ou arachidière.

Quand on observe l’ampleur grandissante des manifestations de rue, ainsi que le fait qu’une motion de censure ait échoué à quelques voix près, on peut prévoir une issue peu reluisante dans ce bras de fer qui a atteint un niveau périlleux pour la stabilité du pays de De Gaulle. A moins que le Conseil constitutionnel ne trouve des arguments suffisants pour annuler toute la procédure. Parce que là-bas, cette Institution dispose de pouvoirs réels qui ne sont pas utilisés à des fins partisanes. C’est le moins qu’on en puisse dire quand on se réfère aux nombreux conflits entre Institutions qui ont émaillé l’histoire de la Vème République.

Leçons pour l’Afrique

C’est la personnalité même de MACRON qui pose problème aux yeux de nombreux analystes ou leaders politiques comme François Asselineau, Inspecteur des Finances et président de l’Union populaire et républicaine (UPR), qui pose cette question : « L’état mental de Macron est-il compatible avec l’exercice de son mandat ? ». En France, une telle question ne vous envoie pas en garde à vue…Surtout qu’il y a quelques jours, MACRON affirmait lui-même qu’il avait connu « une dépression très grave ». Qui plus est, le spectacle d’un chef d’Etat sautillant dans les tribunes d’un stade du Qatar à l’occasion d’un match de football, peut amener à s’interroger sur sa personnalité.

Tout cela, c’est de la cuisine interne, me dira-t-on ; c’est donc sous le prisme des relations entre la France et ses anciennes colonies africaines que s’impose à nous une réflexion sur l’avenir. Et on me permettra un trait d’humour en relevant ce qui pourrait rendre MACRON jaloux quand il constate que pendant que son pays brûle pour un rajout de deux années à l’âge de la retraite, chez nous les travailleurs ne demandent qu’à voir prolonger leur durée d’activité. Chaque société a des préoccupations qui déterminent son équilibre global.

En regardant les images des chaînes de télévision ou des écrans des smartphones, on se surprend à imaginer ce que les chefs d’Etat africains peuvent penser des évènements qui secouent la France depuis plusieurs semaines. On peut deviner qu’ils sont pris par deux sentiments :

  • D’un côté, ils voient dans cette situation trouble que traverse l’ancien colon, qu’aucun Gouvernement n’est à l’abri d’une révolte des populations ;
  • De l’autre, ils perçoivent la fragilisation d’un homme qu’ils sont habitués à voir les regarder de haut et à adopter envers eux, comme le faisaient ses prédécesseurs, une attitude paternaliste, voire arrogante ; et ils doivent bien se dire : « Finalement, il n’est pas plus solide que nous». Sans le crier trop fort.

Il faut seulement rappeler aux dirigeants africains qu’en France, les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre procèdent le plus souvent de revendications sociales et non politiques. En d’autres termes, comme dans la presque totalité des pays occidentaux, on casse rarement de l’opposant politique, alors que sous nos cieux, ce dernier est toujours considéré comme un ennemi mortel. La répression est alors toujours disproportionnée et on a vite fait de compter les arrestations, les blessures graves et même les morts avec leurs lots de dégâts matériels. D’où l’explosion de conflits violents prenant souvent l’allure d’une guerre civile. Surtout quand une élection pointe à l’horizon…

C’est en cela que la situation actuelle de MACRON est intéressante pour les opposants africains qui peuvent y percevoir un affaiblissement des pouvoirs de répression des régimes en place dont la force repose essentiellement sur le soutien de Paris. Nous soulignons au passage le courage et la lucidité du régime malien qui a, assez tôt, compris que rien ne devait obliger le Mali à rester sous le joug  d’un pays qui ne s’appuie que sur une situation de servitude volontaire des dirigeants africains pour compter parmi les puissances mondiales. L’exemple malien semble faire tache d’huile ravivant ce que MACRON appelle sans gène « le développement d’un sentiment anti-français ».

C’est dire que la situation des pays sous tutelle est paradoxale en ce qu’ils nourrissent la main qui leur serre la gorge et étouffe en eux toute velléité de souveraineté nationale. Tant que, dans la plupart de nos pays, il n’y aura de souci que pour le fauteuil, tant que l’appareil d’Etat (Justice, Forces de défense et de sécurité, ressources  publiques principalement) sera utilisé en priorité pour en conserver les privilèges, tant que toute contestation sera considérée comme un acte de nature à troubler l’ordre public, voire une atteinte à la sûreté de l’Etat, nous avancerons, chaque jour un peu plus, vers la déstabilisation de nos nations et les offrirons en proie aux autres pays ivres de puissance et à leurs anciens dirigeants affamés de contrats de conseils juteux.

Au fond, parallèlement à la guerre russo-ukrainienne, les remous qui secouent actuellement la France, et peut-être bientôt, ses partenaires de l’Union européenne, devraient éveiller en nous la conscience d’un nouvel ordre mondial en gestation et dont seuls les pays qui auront affiché clairement leur volonté de préserver leur dignité et leurs intérêts pourront tirer un profit réel et durable.

Mamadou DIOP

24 mars 2023

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