CEDEAO, vers une guerre intestine ?

Scandre HACHEM

Fin observateur de l’actualité nationale et internationale tout en gardant ses idéaux de jeunesse, Scandre HACHEM fut Directeur de bibliothèques en France. Ses activités politiques au sein de différentes organisations lui ont donné une expérience qui en fait pâlir plus d’un. Resté éloigné du pays pendant 40 ans, il retrouve sa terre natale après sa retraite en 2014.

La destruction de la Libye par l’OTAN sous le prétexte fallacieux que nous connaissons tous aujourd’hui, à savoir la protection des habitants d’une ville insurgée d’un massacre imminent par les troupes libyennes. Cette destruction de la Libye a favorisé une progression spectaculaire du terrorisme djihadiste dans toute la zone du Sahel.

Venues défendre le Mali contre cette déferlante djihadiste que leur intervention destructrice a favorisée, mais aussi renforcer leur présence et leur engagement militaire dans les autres pays de la zone, les troupes françaises ont été très vite rejointes dans ce mouvement par d’autres forces européennes et états-uniennes.

Ainsi, les mêmes forces qui ont été à l’origine de l’immense incendie qui embrase le Sahel sont venues avec la prétention de l’éteindre avec pour seul résultat tangible, plus d’une décennie plus tard, de s’y être solidement  installées. Prétendument sortie par la grande porte avec les indépendances au début des années soixante, l’Europe est revenue par la fenêtre, accompagnée cette fois du grand frère et maître étasunien.

Surarmées, abondamment pourvues sur tous les plans, technologiquement très largement supérieures, menant systématiquement des opérations sans risques, elles se sont investies dans les tâches « nobles » et valorisantes y compris  dans la protection des pouvoirs en place tandis que leurs homologues autochtones servent de chair à canons et de piétaille, sous armées, mal nourries quand elles ne sont pas affamées et assoiffées en opérations, avec des morts par dizaines et par centaines, leurs officiers vivant dans leur chair la corruption ambiante généralisée qui sévit dans les coulisses de ceux qui gouvernent, s’appropriant la majeure partie de l’aide de leurs prétendus protecteurs.

Mis à part le cas de la Guinée où le coup d’État a été suivi en temps-réel par Israël, la vague des trois autres coups d’État ne serait-elle pas l’expression et le symbole de cette situation catastrophique et ô combien humiliante pour leurs troupes ? Cette vague de coups d’État n’a rien à voir avec celles qu’a connues l’Afrique dans les années soixante et soixante-dix en particulier, ni celles qui  ont eu lieu de façons éparses ces dernières années, toutes organisées, acceptées tacitement et/ou favorisées par l’ancien colonisateur. Pour appuyer la différence entre les trois coups d’État en question et celui de la Guinée, il suffit de se reporter à la différence de traitement à son égard. En dehors des quelques récriminations de la CEDEAO, c’est motus. Israël, pas touche. Point barre. Pour les autres, le courroux de l’organisation sous-régionale de la CEA (Commission économique pour l’Afrique) a été terrible et est allé crescendo jusqu’à tenter d’affamer les peuples déjà largement pressurisés, jusqu’à se préparer à intervenir militairement et aggraver la déstabilisation en cours et qui frappe une zone large de milliers de kilomètres et s’étendant du Mali jusqu’à l’océan Pacifique (voir mon article « Le Soudan ou quel avenir pour l’Afrique ? »). Cette colère extrême de certains dirigeants de la CEDEAO ne s’expliquerait-elle pas d’abord par le fait que ces coups d’État seraient en réalité l’image inversée comme en miroir de tous leurs manquements, l’expression de leur mauvaise conscience ? Ces coups d’État ne seraient-ils pas leur œil de Caen ? Ces officiers qui ont choisi de se révolter en prenant le pouvoir (y-a-il un autre moyen de se révolter efficacement dans l’armée dans de telles conditions ?) ne vivent-ils pas tout simplement à un niveau paroxystique et meurtrier la triste condition de leurs concitoyens ? Plutôt que de chercher à affamer leurs peuples, fourbir les armes et battre les tambours de la guerre, ne serait-il pas plus sage et fécond de s’interroger collectivement sur les conditions dans lesquelles on les envoie à la mort par dizaines et centaines tandis que ceux qui sont venus les « aider » vivent dans l’opulence matérielle et la sécurité, organisant des funérailles nationales les fois exceptionnelles où l’un d’eux est tué, généralement par accident ?

Mais cela ne semble pas être tout. Parmi les présidents de la CEDEAO, il y en a un qui est particulièrement véhément et va-t’en guerre, le Président du Nigéria et Président en exercice de la dite organisation pour la bonne raison qu’il considèrerait le Niger comme son arrière cour même s’il sait qu’il la partage avec la France. Et il ne serait pas question que cette arrière cour lui échappe, à l’instar de la pratique des États-Unis vis-à-vis des Amériques du Sud et du Centre ? Quoi de mieux alors, pour s’en assurer, que de pousser des cris d’orfraie pour protéger la démocratie et l’ordre constitutionnel. Notre Président lui-même, se ralliant à cette décision ne conforterait-il pas sa politique vis-à-vis de la Gambie qui deviendrait à son tour l’arrière cour et chasse gardée du Sénégal, lui qui y a commis ni plus ni moins qu’un coup d’État, qui plus est, par le biais d’une invasion militaire étrangère contre un Président qui, quoiqu’on en pense, a été élu ? Nigéria, Sénégal, France et États-Unis ne se retrouveraient-ils pas à  se tenir finalement par la barbichette, dans un jeu de dupes que seule l’Afrique finira par en payer le prix, un prix qui serait de plus en plus lourd ? L’appétit venant en mangeant, qu’en serait-il demain de la Guinée-Bissau entre autres ? Attisera-t-elle avec le temps les convoitises de la Guinée ? Ou du Sénégal ? Ici des arrières cours, là des pays qui éclatent, toujours des réactions en chaîne, de l’instabilité et des conflits intestinaux à effets cumulatifs ?

L’Europe et les États-Unis ont un besoin vital de matières premières à travailler et à transformer ou faire transformer à leur profit. Il leur faut absolument que l’Afrique reste essentiellement un fournisseur de matières premières dont elle regorge, subsidiairement de main-d’œuvre et plus récemment de matières grises à bas coûts. En conséquence, nous aider à nous développer, ce serait nous donner des dents quand eux perdront les leurs à leur vieillesse selon l’expression de Houphouët Boigny, premier Président de la Côte d’Ivoire, appelant en conséquence l’Europe à aider l’Afrique à se développer pour qu’elle puisse à son tour les nourrir et les soutenir durant leur vieillesse. Les occidentaux sont-ils inconscients et/ou ignares à ce point ? Quand allons-nous remarquer, et en  tirer les leçons, que le développement de l’Asie (Chine, Inde, Japon, Indonésie, Corée du Sud, Malaisie, etc…) s’est accompagné de l’augmentation du champ de la pauvreté et de la baisse continuelle du niveau de vie des classes moyennes en Europe et aux États-Unis ? Si l’Afrique se développait à son tour, acquérait les technologies avancées, transformait ses matières premières en produits finis et les commercialisait elle-même, en imagine-t-on les conséquences pour l’Europe et les États-Unis ? C’est bien la raison pour laquelle ces deux entités n’admettront jamais qu’elle en arrive là. Le système économique fondé sur le profit qu’ils ont choisi de mettre en œuvre chez eux et qu’ils veulent et doivent systématiquement imposer dans le reste du monde exige un tel rapport. C’est le sens de la phrase  de Merkel lorsqu’elle disait qu’il n’était pas question de refaire avec l’Afrique l’erreur qui a été faite avec la Chine. Et ce n’est pas en leur servant de chair à canon et de supplétifs qu’on parviendra à les convaincre du contraire.

Puissent nos dirigeants retrouver leurs esprits et les voix de la sagesse pour enrayer pendant qu’il en est encore temps la machine infernale qu’ils sont en train de mettre en œuvre. Il faut oser y croire.

Le 5 août 2023

Scandre HACHEM

scandre1@hotmail.com

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