Le débat intellectuel est sans tabous, ni zones exclusives. Il saisit toute opportunité pour poser les questionnements dont la bonne appréhension permettrait de faire avancer d’un cran la société. C’est sous ce rapport qu’il y’a bientôt un an, je m’interrogeais (dans un article intitulé « le Sénégal un pays francophone? ») sur les fondements de notre prétention à jouer les premiers rôles dans la Francophonie à la veille du grand rendez-vous, chez nous, de cette communauté linguistique. Pour mémoire, suivez ce lien.
http://www.lequotidien.sn/index.php/opinions-et-debats/item/26608-le-s%C3%A9n%C3%A9gal-un-pays-francophone-
Et voilà que, dans l’édition du quotidien sénégalais Walfadjiri du vendredi 07 novembre 2014, l’Observatoire de la Francophonie nous confirme que, seulement 29% des sénégalais parlent le français ! Le Sénégal n’est donc pas un pays francophone. Démographiquement parlant en tous cas ! On pourrait en dire de même pour tous les pays africains ainsi qualifiés. Nous attendrons, cependant, une argumentation solide qui puisse nous convaincre du contraire. D’où l’actualité de répondre à cette question lancinante à l’occasion du XVème Sommet des Chefs d’Etats et de Gouvernements de la Francophonie réunis dans l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). C’est le moment, où jamais, d’évaluer et de revisiter les paradigmes fondateurs de l’espace francophone autour des valeurs, mieux partagées, et des intérêts bien compris de toutes ses composantes
Par contre, il serait aisé de déterminer les contours d’une élite intellectuelle et politique francophile! Formées à l’école française, plusieurs générations de sénégalais ont reçu, en sus de la langue, le virus de la culture française. À ne pas en guérir, certains sont devenus méconnaissables tant ils ont peur de s’aventurer hors du mode de pensée qu’implique l’acclimatation d’une culture d’emprunt. Il est ainsi impossible, entre autres, de leur faire admettre la possibilité de porter nos langues maternelles à la modernité. Modernité ne voulant évidemment pas dire occidentalisation, encore moins « francisation »! Cette race » d’intellectuels » mériterait davantage le qualificatif « d’intellocrates » tant ils s’échinent à paraître ce qu’ils ne sont pas. Et ce qu’ils ne sauraient devenir…
Le virus que nous évoquions plus haut, lorsqu’il prospère et se diffuse, peut conduire le sujet à ce que l’on pourrait appeler la « Francofolie. » : Un état de schizophrénie qui se traduit, notamment, par des contorsions linguales exagérées pour parler plus français que la France. La préciosité ( ridicule) du sujet en fait un étrange personnage que David Diop a décrit avec panache depuis 1956 dans son poème:
« Le Renégat »
» Mon frère aux dents qui brillent sous le compliment hypocrite
Mon frère aux lunettes d’or
Sur tes yeux rendus bleus par la parole du Maître
Mon pauvre frère au smoking à revers de soie
Piaillant et susurrant et plastronnant dans les salons de la condescendance
Tu nous fais pitié
Le soleil de ton pays n’est plus qu’une ombre
Sur ton front serein de civilisé et de Mea Culpa
Et la case de ta grand’mère
Fait rougir un visage blanchi par les années d’humiliation
Mais lorsque repu de mots sonores et vides
Comme la caisse qui surmonte tes épaules
Tu fouleras la terre amère et rouge d’Afrique
Ces mots angoissés rythmeront alors ta marche inquiète
Je me sens seul si seul ici ! » Coups de Pilon, 1956.
Merci David Diop, un francophone tel que je les aime…
Francophonie, francophilie ou Francofolie? Il est en tous cas devenu impératif d’aller au fond des choses dans notre pays et dans la plupart des pays anciennement colonies françaises. Lever les malentendus, savamment entretenus pour confiner nos intelligences dans l’absorption de prêts à penser qui conditionnent nos aptitudes à concevoir une notion du progrès qui soit conforme à nos identités, à nos valeurs sociales et culturelles, voilà une problématique urgente et prioritaire à résoudre. Autrement dit : se développer en français est-il possible avec 29 sénégalais sur cent qui comprendraient le sujet? Que nenni! Voilà le fond de notre problème! Qui en parlera au Sommet?
That is the question !
Amadou Tidiane Wone
Ancien Ministre de la Culture
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