Un groupe de six experts français composés de chercheurs et anciens ambassadeurs ont pris en charge l’écriture d’un rapport pour proposer une « initiative politique » pour régler enfin le conflit israélo-palestinien, sous l’égide d’une « coalition pour la paix et la sécurité » qui regrouperait les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Egypte, le Qatar et la Jordanie, ainsi que, bien sûr, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Union européenne. On remarquera d’emblée que tous ces pays sont totalement inféodés à Israël.
Il faudrait lire le rapport pour en savoir plus si l’on peut dire… Par contre, à lire le résumé qu’en fait le quotidien Le Monde et malgré tout le respect que je porte aux auteurs de ce rapport, il y aurait fort à penser qu’ils ne feraient en fait que subvertir le sentiment d’injustice et d’impuissance qu’ils éprouvent à l’égard du peuple palestinien en une sublimation qui se traduirait par une élucubration intellectuelle vouée à être au final parfaitement stérile.
Ce n’est pas en léchant les pieds (pour être gentil) des Israéliens, sous prétexte de leur faire pédagogie pour qu’ils consentent à offrir un peu d’aumône, au nom de leur sécurité bien comprise, qu’on arrivera à quelque paix que ce soit. C’est la même rengaine depuis des décennies. C’est ce que promeut fondamentalement ce résumé.
Quelle alternative pour une solution qui puise son fondement dans le réel ?
C’est par des mesures contraignantes et décisives (arrêt total de fournitures d’armes, arrêt de toute coopération technologique, boycott commercial total) que les États-Unis et l’Europe pourront imposer à Israël le respect et l’application du droit international. Toute l’histoire du mouvement juif sioniste puis d’Israël depuis sa création jusqu’à nos jours prouve qu’ils n’en ont pas la volonté. Bien au contraire, ces États ont toujours activement et puissamment soutenu sa réalisation, son renforcement et sa puissance à tel point qu’il est devenu leur fleuron, non seulement en tant qu’État colonial mais aussi État d’apartheid et suprémaciste. Israël est leur orgueil, ce rejeton qui doit coûte que coûte réaliser enfin ce que les géniteurs ont échoué eux-mêmes à réaliser de façon pérenne. Ce rejeton représente leur revanche face à un monde qui, depuis Bandoung, entend dorénavant se libérer de sa soumission séculaire, le proclame de plus en plus ouvertement, massivement et fermement.
Dans le cas contraire à une action de cette dimension par les États-Unis et l’Europe, il faudra nécessairement :
- une guerre longue qui ira crescendo et se généralisera lentement et sûrement d’une part,
- un mouvement de solidarité mondiale de plus en plus puissant, avec une implication massive des juifs et israéliens non sionistes, antisionistes ou recherchant tout simplement le respect des droits nationaux des Palestiniens comme cela commence à être de nouveau le cas aujourd’hui, pour réussir à faire faire des mesures contraignantes significatives afin de parvenir à imposer une solution négociée respectant les droits nationaux des uns et des autres, Israéliens comme Palestiniens.
Être conscient que plus le mouvement de solidarité mondiale avec les mesures qu’il réussira à faire imposer sera puissant de son côté et plus la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale seront impliquées pour dire le droit et le faire appliquer de leur côté, plus la tendance à la généralisation de la guerre et à son intensification seront contenues.
En attendant que les suprématistes occidentaux se décident d’arrêter leur jeu de massacres et respecter enfin le droit international, le faire tout autant respecter par leur rejeton en lui tordant le bras autant que nécessaire à cet effet, il ne reste qu’à maintenir et développer ce second terme de l’alternative malgré tous les sacrifices qu’il faudra continuer de consentir.
Ce sont là les deux termes de l’alternative. Le reste n’est que verbiage ou alors recherche de bonne conscience.
Négocier, oui mais pour un objectif à la hauteur des massacres et destructions génocidaires infligées et des sacrifices consentis.
Le peuple palestinien consent dans cette guerre en cours à Gaza, mais aussi en Cisjordanie et Jérusalem-Est, des sacrifices immenses et à tous les niveaux, bien au-delà du supportable humain, ses soutiens régionaux avec eux, pour se fourvoyer dans des accords qui consisteraient à se contenter de libération d’otages israéliens comme palestiniens et de retrait des troupes israéliennes de Gaza. À un tel niveau de sacrifices, il faut avoir, et l’afficher clairement et fermement, l’ambition d’un règlement définitif du conflit par la mise en œuvre effective des droits nationaux du peuple palestinien au même titre que ceux du peuple israélien.
Trop de massacres et destructions à but génocidaire infligés par Israël, de sacrifices déjà consentis et continueront sans aucun doute d’être encore consentis par les Palestiniens pour s’arrêter, une fois de plus à mi-chemin, à des accords ponctuels qui n’aboutiront qu’à devoir encore recommencer et prolonger ainsi ce cycle de jeux de massacres toujours plus paroxystiques dans dix, quinze ou vingt ans, peut-être beaucoup moins aussi, qui sait ?
Mais il y aurait pire encore à souligner. Près de deux cent mille morts à Gaza si l’on arrondit les chiffres du Lancet, soit environ dix pour cent de sa population, cela représenterait l’équivalent de six millions de morts à l’échelle de la France, quarante millions à celle de l’Europe, trente millions à celle des États-Unis, cent soixante millions de morts à l’échelle de l’Inde. Sans parler d’une région aux trois quarts ravagée. Et ce n’est pas fini.
Et tout cela, sans le moindre sentiment de culpabilité, bien au contraire. C’est avec fierté, imbu de de sa toute-puissance génocidaire et destructrice qu’Israël se pavane dans ces décombres avec ses victimes et ses camps de torture sous le regard admiratif et langoureux de ses affidés, pressés de régler à leur tour leur compte à leurs populations issues du Sud global et en particulier musulmanes. C’est dire toute l’ignominie et l’impudence de la nature du sionisme et de l’État d’Israël mais aussi du suprématisme occidental lui-même, ce dernier ne lui ayant rien à envier au vu de son histoire esclavagiste et coloniale et de tous les massacres et génocides qu’elle a générés.
Accepter de réduire tout cela à un cessez-le-feu sans lendemain ainsi que toute l’histoire d’Israël nous le démontre et à quelques arrangements d’échanges de prisonniers ou d’otages que là encore Israël pourra reconstituer rapidement par milliers à enfermer et torturer pour continuer à punir et terroriser tout un peuple, ce serait accepter de fait une défaite non seulement pour le peuple palestinien, non seulement pour les peuples de la région mais aussi pour tous les peuples répertoriés par l’ONU dans les territoires à décoloniser, sans l’ombre d’un doute. Il n’est qu’à observer la Calédonie, aujourd’hui sous les feux de l’actualité, où la colonisation de peuplement n’a cessé de croître et irait dès lors en s’accélérant pour y imposer un système d’apartheid puis de processus génocidaire au long cours contre le peuple autochtone kanak, le tout enrobé des meilleures intentions du monde. Il n’est qu’à se référer, pour le toucher du doigt, à la récente déclaration, le 14 juillet 2024, de Sonia Backès, ancienne ministre de Macron de juillet 2022 à juillet 2023, aujourd’hui Présidente de la province Sud et cheffe de file des « Loyalistes » en Calédonie, appelant à un développement séparé avec les kanaks dans une envolée sublime autant qu’abjecte de « Défense et illustration » de la grandeur et la magnanimité de l’apartheid ! Il est une réalité systématique que le suprématisme occidental a toujours su enrober ses méfaits, les plus anodins comme les plus crapuleux, des plus beaux desseins et les meilleurs sentiments.
Le déploiement en cours d’une troisième guerre mondiale larvée pour la conservation du leadership mondial du Seigneur et Maître états-unien et du suprémacisme occidental se doublerait alors d’une guerre de territoires permettant la démultiplication de la mainmise de l’immensité des frontières et richesses maritimes par les anciens empires coloniaux, la puissance impériale états-unienne et de nouveaux prétendants qui ne manqueront pas, à tort ou à raison, sous prétexte d’autodéfense, de se lancer à leur tour dans cette course folle. Ainsi, l’exigence et la réalisation effective des droits nationaux du peuple palestinien doivent être comprises comme relevant de la responsabilité, non des seuls palestiniens et autres peuples de la région, mais de tous les pays, instances internationales, en particulier de la CIJ, de la CPI et de l’Assemblée générale de l’ONU, ainsi que de tous les mouvements qui aspirent à un monde multipolaire équilibré, décolonisé et respectueux du droit international.
Reconstruire les décombres de Gaza ?
Il serait avisé d’arrêter de se fourvoyer à envisager le déblayage des destructions à Gaza ou la reconstruction des zones dévastées, perspectives évoquées dans différents espaces par ailleurs, laissant les gazaouis survivre dans une profonde précarité et insalubrité pendant dix à vingt ans, et dans un espace encore plus exigu après un éventuel cessez-le-feu.
Il faudrait au contraire s’orienter résolument vers la conservation de ces décombres pour servir de mémoire historique du sens et de la nature du sionisme au même titre qu’Auschwitz, Treblinka et autres camps de concentration de l’Allemagne nazie. Que ce soient les projets de reconstruction de rêves touristiques d’Israël ou de certains pays occidentaux, il s’agirait pour eux de créer un nouveau récit à même de mieux effacer ce génocide de la mémoire des peuples et de l’histoire de l’humanité. Être conscient aussi que sous et à l’intérieur de ces ruines se trouvent des milliers, voire dizaines et centaines de milliers de morts dont nous devons honorer la mémoire et qu’il s’agira de protéger et laisser reposer en paix.
Quant à la construction d’un espace de vie viable pour les gazaouis, améliorer et développer les zones non détruites et élargir leur territoire sur l’enveloppe de Gaza ainsi que le nomment les Israéliens, ce qui serait la moindre des compensations et un recouvrement partiel de leur territoire telle que définie par la résolution de la proposition de partage de la Palestine en 1947, face au délire génocidaire dont ils sont victimes. Il appartient à l’Assemblée générale de l’ONU de le décider et de soumettre elle-même une résolution devant le Conseil de sécurité et non à en laisser la responsabilité à tel ou tel État ou groupe d’États. La réalisation de cette décision devrait être entièrement prise en charge par les Nations Unies et sous leur direction. Les États comme les organismes qui soutiennent les droits nationaux du peuple palestinien et le respect du droit international devraient mettre leurs forces à agir directement mais aussi encourager l’Assemblée générale dans cet objectif.
Quelques éléments bien instructifs…
La Cour internationale de justice, dans son Avis en date du 19 juillet 2024* sur les « Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est » précise à de nombreuses reprises que celui-ci concerne les territoires occupés en 1967 du fait que c’est sur ces territoires en particulier que l’Assemblée générale de l’ONU porte sa demande. Cependant, à différentes reprises, dans son argumentation pour répondre aux arguments d’Israël et de ses soutiens que la Cour récuse entièrement point par point, la CIJ en élargit la problématique en se fondant sur le fait que la question de la Palestine concerne l’Assemblée générale de l’ONU depuis le mandat britannique en 1920, la Société des Nations jusqu’à aujourd’hui en passant par la résolution en 1947 sur le Plan de partage. Ainsi, l’Assemblée générale a le droit d’interroger ce territoire dans son ensemble sur toute cette période. En conséquence, lorsque l’on se réfère plus précisément aux alinéas 36 à 39, page 17, de l’Avis, les territoires dont se sont emparés par les massacres et la terreur les milices sionistes dès le lendemain du vote de la résolution de 1947 jusqu’à la guerre de 1948 doivent être considérés comme des territoires occupés selon le droit international. Puisqu’ils vont au-delà du territoire attribué à Israël dans le Plan de partage de la Palestine, seul document légal du point de vue du droit international à ce jour. Les Accords d’Oslo, fruits de négociations qui se sont limitées aux territoires occupés en 1967 et qui ont de plus été avortés par l’État d’Israël dès après leur signature avec la reprise et l’accélération de la colonisation dans ces territoires manquent donc totalement de pertinence quand une quelconque validité juridique pour prétendre remplacer la Résolution de 1947 votée par l’Assemblée générale de l’ONU.
La CIJ applique cette même démarche concernant le territoire de Jérusalem en élargissant la problématique de sa définition potentielle, mais la limitant dans ce présent Avis aux territoires occupés en 1967 à Jérusalem-Est uniquement. De fait, la Cour précise qu’une autre définition du territoire de Jérusalem figure là encore et conserve toute sa validité juridique dans la résolution de 1947, puis celle de 1949 votées par l’Assemblée générale de l’ONU.
Ainsi, la lecture attentive de l’Avis de la Cour, contrairement aux résumés insipides et aseptisés présentés par la presse mainstream quand elle daigne en parler, permet de mesurer l’ampleur et l’intensité de toute l’injustice massivement meurtrière infligée au peuple palestinien depuis un siècle par les sionistes chrétiens et juifs ainsi que par l’empire britannique puis par l’État d’Israël et ses alliés tout autant que l’ampleur et l’intensité du déni dont ils se drapent et se voilent la face.
Il appartient bien sûr au Collectif des avocats internationaux pour la défense et la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien de clarifier et de s’emparer de la question.
Pour conclure, être conscient que le rapport de forces a sensiblement évolué tant au niveau des acteurs directs qu’au niveau mondial. Et le temps est venu de choisir de mettre en œuvre enfin une solution définitive à la guerre israélo-palestinienne quitte à poursuivre voire intensifier l’effort de guerre ou tout au moins jusqu’à un engagement de l’ONU, y compris du Conseil de sécurité pour prendre toutes les mesures nécessaires à un règlement politique pour garantir les droits nationaux du peuple palestinien dans le respect du droit international.
Porter alors toutes ses forces pour intensifier le mouvement mondial de solidarité avec le peuple palestinien et l’action de justice en direction de la Cour internationale de justice comme de la Cour pénale internationale.
Et faire appliquer l’Avis de la CIJ du 19 juillet 2024 sur les territoires occupés en 1967 en attendant que celle-ci soit appelée par l’Assemblée générale de l’ONU de préférence ou de groupe d’États et d’organismes internationaux à statuer sur tous les territoires occupés par les milices sionistes puis par l’État d’Israël après le vote de la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU pour le partage de la Palestine le 29 novembre 1947. Israël devra alors choisir entre évacuer les 800 000 colons établis dans les territoires occupés en 1967 selon ce que demande entre autres la CIJ dans son avis et l’existence d’un État binational avec le droit au retour des réfugiés.
Le niveau inouï des destructions humaines et matérielles infligées au peuple palestinien dans un objectif génocidaire assumé par l’État d’Israël avec le soutien massif des suprématistes états-uniens en particulier nous y oblige.
Le 29 juillet 2024
Scandre HACHEM
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